« Il est difficile d’estimer les coûts des pesticides », Denis Bourguet, Inra
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Quels sont les coûts cachés et les externalités de l’utilisation des pesticides ? Denis Bourguet, chercheur au Centre de biologie pour la gestion des populations à l’Inra de Montpellier, et Thomas Guillemaud, chercheur à l’Institut Sophia agrobiotech à l’Inra de Sophia Antipolis, se sont livrés à une étude bibliographique en la matière publiée le 20 février dans Sustainable agriculture revue. Les informations auxquelles ils font référence viennent essentiellement des États-Unis pendant les années 90. Ces données ne sont pas extrapolables aujourd’hui et dans le contexte actuel, insistent les chercheurs. Parmi les grandes conclusions de l’étude : il est difficile d’estimer ces coûts et il est urgent de s’y pencher ! Entretien exclusif avec Denis Bourguet. Référence environnement : Qu’entendez-vous par les coûts cachés et par les externalités des pesticides ? Denis Bourguet : Pour les coûts cachés, il s’agit de coûts indirectement payés par les agriculteurs : l’augmentation des quantités de pesticides liée aux résistances des ravageurs et des pathogènes à ces matières actives, les dérives d’herbicides sur les cultures voisines ou la diminution des pollinisateurs qui baissent les rendements, etc. Pour les externalités, il peut s’agir de la pollution de l’eau, de l’achat de produits issus de l’agriculture biologique ou d’eau en bouteille par les consommateurs dans le but de limiter leurs expositions aux pesticides. Nous avons répertorié une cinquantaine de coûts cachés ou externes. R.E. : Quelles sont les conclusions principales de votre travail ? D.B. : La plus importante est que, pour pratiquement tous les pays, ces coûts ne sont pas estimés et quand ils le sont, ils sont généralement sous évalués. Ce qui rend impossible l’évaluation du ratio coûts/bénéfices. Cette conclusion s’applique à la France. Les données les plus complètes sont celles qui ont été générées aux États-Unis dans les années 1990, mais elles restent très approximatives et donc à manier avec précaution. R.E. : Vous montrez que les coûts étaient largement supérieurs aux bénéfices en 1990 aux États-Unis… Quels sont les facteurs qui impactent le plus ? D.B. : Ce sont les conséquences sur la santé qui pèsent le plus. Notre réévaluation fait apparaitre un coût de 40 milliards de dollars pour un bénéfice estimé par ailleurs à 27 milliards de dollars. Mais avec toutes les réserves que je viens d’émettre. A l’époque par exemple, le taux de cancers liés à l’exposition aux pesticides ne reposait sur aucune étude épidémiologique. Le poids des pesticides dans le déclenchement de nombreuses maladies, qui sont généralement multifactorielles, reste de nos jours difficile à évaluer. R.E : Ces résultats sont-ils extrapolables aujourd’hui, en France ? D.B. : Absolument pas, et des raccourcis ont rapidement été faits, à partir de notre revue, ces derniers jours. Nous ne sommes pas dans la même situation, les molécules utilisées aujourd’hui, notamment, ne sont plus les mêmes. Nous insistons donc sur le manque de données et sur l’importance de se pencher sur ce sujet. Des chercheurs de l’université de New York ont récemment fourni des premières estimations pour certaines maladies engendrées par certaines classes de pesticides dans l’Union Européenne ; d’autres travaux devraient être publiés dans quelques temps.