Inrae et l’Ifremer publient une étude sur les impacts des produits phytosanitaires sur la biodiversité
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46 scientifiques de l’Inrae et de l’Ifremer ont été mobilisés pendant deux ans pour analyser la présence des produits phytosanitaires dans les milieux terrestres, aquatiques et marins, les conséquences de leurs usages sur la biodiversité et sur les services écosystémiques. Les résultats, publiés le 5 mai, sont plutôt alarmants.
Tous les milieux terrestres, aquatiques et marins sont contaminés par les produits phytosanitaires. Lesquels impactent fortement la biodiversité et les services écosystémiques. Tel sont les résultats, plutôt alarmistes, d’une expertise scientifique collective, Esco, rendue publique le 5 mai et réalisée par l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, Inrae, et l’Ifremer. Elle fait suite à une première expertise publiée en 2005. « C’est une excellente actualisation, se félicite Thierry Caquet, directeur scientifique environnement d’Inrae. Depuis, les connaissances ont augmenté et les moyens de détection se sont améliorées. Mais il reste des lacunes, notamment sur le biocontrôle, les effets indirects ou les services écosystémiques. »
L’expertise a été commandée en 2020 par les ministères de l’Agriculture, de la Recherche et de la Transition écologique, dans le cadre du plan Ecophyto 2+. 46 scientifiques ont été mobilisés pendant deux ans pour étudier plus de 4000 références scientifiques. « L’objectif n’est pas d’acquérir de nouvelles connaissances mais de faire état de ce que l’on sait pour éclairer le débat et l’action publique », ajoute Thierry Caquet. Les produits phytopharmaceutiques de synthèse et naturels, et leurs produits de transformation, ainsi que les produits et les organismes de biocontrôle, sont couverts par l’expertise.
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Des pesticides dans les pôles et les grands fonds marins
Quels sont les résultats ? L’étude confirme que tous les milieux sont contaminés par les produits phytopharmaceutiques, avec un pic dans les espaces agricoles. L’agriculture est identifiée comme la source majeure d’introduction des pesticides dans l’environnement et dans le continuum terre-mer pour atteindre les océans. Même les endroits les plus reculés, comme les pôles, les îles Kerguelen, et les grands fonds marins, sont contaminés. Dans ces zones, des substances interdites depuis de nombreuses années, voire plusieurs décennies (DDT, lindane, diuron par exemple), sont retrouvés. Mais leur concentration tend à diminuer, sauf pour le glyphosate et son produit de dégradation Ampa, dont les concentrations près des côtes peuvent être élevées. Les eaux sont principalement touchées par des herbicides hydrophiles. Les fongicides sont plutôt retrouvés dans les sols et l’air, mais ils sont aussi présents dans les eaux.
Le quatrième facteur pesant sur la nature
« Il est complexe de quantifier la part relative des produits phytosanitaires dans l’érosion de la biodiversité, dans un contexte multifactoriel associant plusieurs types de pressions chimiques comme les micropolluants ou les résidus de médicaments », reconnaît Stéphane Pesce, chercheur en écotoxicologie des milieux aquatiques à Inrae et pilote scientifique de l’expertise scientifique collective. Les auteurs classent toutefois les pesticides au quatrième rang des facteurs directs pesant sur la nature à l’échelle mondiale, derrière la modification de l’utilisation des terres et des mers, l’exploitation directe des organismes et les changements climatiques, et devant les espèces exotiques envahissantes.
Les impacts sublétaux encore à approfondir
Le lien entre pesticides et biodiversité a surtout été étudié au sein des zones agricoles où ils sont impliqués dans le déclin des invertébrés terrestres, aquatiques et des oiseaux communs. Les effets indirects, liés à la baisse de la ressource alimentaire et à l’altération des habitats, mais aussi les effets sublétaux, manquent encore de données, indiquent les auteurs. De plus en plus d’effets inattendus et sans relation claire avec le mode d’action sont perçus, notamment sur les systèmes nerveux, immunitaires, endocriniens ou sur le microbiote. Les connaissances acquises au cours des dernières décennies, en particulier sur la perturbation endocrinienne, ont permis d’intégrer de nouveaux types d’effets, à l’image de ceux qui se transmettent entre générations. Enfin, la sélectivité du mode d’action ne présage pas des effets indirects qui découlent de la fragilisation ou de l’élimination de la population ciblée, expliquent les auteurs.
De manière plus précise, sur les invertébrés des écosystèmes terrestres, tous les taxons sont affectés, mais les lépidoptères (papillons), les hyménoptères (abeilles, bourdons, etc.) et les coléoptères (coccinelles, carabes, etc.) sont les plus touchés. Les effets indirects découlent principalement des impacts des herbicides sur la diversité et la biomasse des plantes et leurs conséquences sur l’alimentation et les habitats des invertébrés terrestres. Des effets marqués sur la biodiversité des macroinvertébrés peuplant les cours d’eau des espaces agricoles sont également observés.
Pour les oiseaux granivores, les cas répertoriés depuis le début des années 2000 sont très majoritairement causés par l’ingestion de semences traitées avec des insecticides néonicotinoïdes, surtout l’imidaclopride. Pour les oiseaux insectivores, l’impact s’exprime principalement de manière indirecte, à travers le déclin de la ressource alimentaire.
Le biocontrôle, pas inoffensif
Les auteurs se sont aussi penchés sur l’impact des solutions de biocontrôle sur la biodiversité. Si l’expertise confirme que la plupart de ces substances présentent une faible persistance et une faible écotoxicité, quelques unes font exception. Les micro et macro-organismes présentent également des risques car ils sont parfois capables de se reproduire et de se disperser dans l’environnement. « Si ces produits sont prometteurs, certains ont des impacts écotoxicologiques équivalents voire supérieurs aux solutions conventionnelles », indique Laure Mamy, chercheuse en sciences du sol à Inrae.
Les scientifiques ont tenté de faire le lien entre l’usage des produits phytosanitaires et les services écosystémiques. Mais la littérature manque. Toutefois, les auteurs montrent que leur usage affecte deux services essentiels à la production : la pollinisation et la régulation naturelle des ravageurs. « Cela affectera à l’avenir le bien-être humain, mais il y a encore besoin de recherche en la matière », indique Wilfried Sanchez, directeur scientifique adjoint de l’Ifremer.
Faire évoluer la réglementation
Un des leviers pour réduire l’impact des pesticides est la réglementation. Certes, la législation européenne est une des plus exigeantes au monde notamment. Mais elle présente des limites : elle ne prend pas suffisamment en compte la complexité des effets sur la biodiversité et sous-estime l’effet cocktail et les impacts indirects, selon les auteurs. Ils préconisent de collecter davantage de données sur la biodiversité dans le cadre de la phytopharmacovigilance.
Les modes d’applications de ces produits, avec l’usage de buses anti-dérives, et la présence d’infrastructures paysagères, comme les bandes enherbées ou les haies, permettent de limiter efficacement les impacts sur l’environnement, en limitant les transferts et en préservant les habitats et les zones refuges des animaux. « C’est une combinaison de différentes actions complémentaires à terre qui permettent de limiter la dispersion des pesticides jusqu’à la mer », poursuit Laure Mamy. Elle cite quelques chiffres : la couverture des sols diminue de 40 à 60 % la teneur des pesticides dans les sols ; les zones tampons herbacées réduisent de 50 % la présence de produits phytopharmaceutiques, un chiffre qui monte à 60 % pour les zones humides.
Des travaux similaires sur les pratiques et systèmes agricoles qui permettent d’assurer la production sans recours aux pesticides sont attendus pour l’automne 2022.