Insecticides à ARN interférent, Pollinis appelle au principe de précaution
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En France, aucun pesticide à ARN interférent n’est encore sur le marché, mais Pollinis s’inquiète de cette nouvelle solution de protection des cultures susceptible, selon l’ONG, de présenter des effets délétères pour les pollinisateurs. Phyteis, pour sa part, appelle à des discussions entre les différentes parties prenantes pour que ces innovations, jugées durables, puissent être développées.
Nouvelle technologie susceptible de réduire sans dommages collatéraux les usages de pesticides, ou inquiétante alternative ? Avant même de se retrouver sur le marché européen, les insecticides à ARN interférent (ARNi) font débat. Pollinis, qui a enquêté sur la question, a publié le 20 mai 2023 un rapport intitulé « Pesticides génétiques ARNi - Les pollinisateurs, victimes collatérales des nouveaux produits de l’agrochimie ». L’ONG informe que ces nouveaux pesticides prennent la forme de plantes OGM, de spray ou de micro-organismes.
Une nouvelle solution sûre et durable, selon Phyteis
Pour Phyteis, contactée par Référence agro, « la technologie à base d’ARN interférent pourrait faire partie des innovations à même de contribuer à répondre aux enjeux auxquels l’agriculture fait face - souveraineté alimentaire, réponse aux attentes des consommateurs, durabilité des systèmes de production, lutte contre le réchauffement climatique… ». L’association des industries de la protection des plantes place cette nouvelle technologie dans le domaine de la bioprotection. Elle met en avant le fait qu’elle est utilisée dans d’autres domaines, comme les médicaments, avec une grande efficacité et permet d’obtenir des produits sûrs. « Dans le domaine de l’agriculture et de la protection des cultures, elle permettrait de répondre à l’ambition de la stratégie européenne du Pacte vert et du futur règlement d’utilisation durable des pesticides (SUR) visant à réduire les risques et les utilisations des produits phytopharmaceutiques. »
Selon l’association, cette technologie est autorisée en protection des cultures depuis 2017 aux États-Unis. Des produits basés sur l’ARNi y ont été développés et mis sur le marché. « Un système d’évaluation spécifique axé sur leurs particularités a été mis en place », souligne Phyteis avant de préciser qu’en France, « aucune société adhérente à Phyteis n’a à ce jour procédé à des tests et aucune demande d’homologation n’a été produite pour le marché français. »
De nombreux programmes à base d’ARN interférent en développement
Selon Pollinis, Syngenta, Bayer et Corteva, entre autres, s’intéresseraient fortement à cette nouvelle technologie. GreenLight Biosciences, entreprise nord-américaine de biotechnologie créée en 2008, se profilerait comme un acteur majeur du marché des pesticides ARNi. « L’entreprise a pour ambition de commercialiser huit produits ARNi à usage agricole d’ici à 2028, précise l’ONG. Son spray génétique à base de ledprona, une substance ARNi agissant contre le doryphore de la pomme de terre, devrait être autorisé cette année aux États-Unis. » Ce spray aurait été testé en plein champ en Europe, et notamment en France. Et ce, « sans évaluation préalable de l’Anses, puisque ces essais ont été menés sous le régime de la dérogation au permis d’expérimentation », informe Cécile Barbière, directrice de l’information et de la communication pour l’ONG. D’autres startups travailleraient également le sujet. Pollinis liste dans l’annexe de son rapport les divers types de produits développés.
Phyteis appelle à des discussions avec toutes les parties prenantes
Pour Phyteis, cette technologie doit pouvoir faire l’objet de recherches en Europe, dans un cadre clairement défini. « En tant qu’acteur de la protection des plantes, nous plaidons pour que cette technologie soit considérée dans la procédure d’évaluation des produits de protection des plantes et évaluée avec des exigences réglementaires adaptées en tenant compte de ses caractéristiques et spécificités, souligne l’association. Ainsi, nous appelons à des discussions avec toutes les parties prenantes sur la façon dont cela pourrait être développé, car cela contribuera à libérer le potentiel de ces innovations. »
Recours au principe de précaution, pour Pollinis
Pollinis, de son côté, s’inquiète de ces nouveaux pesticides qui selon elle seraient susceptibles d’être acceptés dans les produits à faible risque ou les solutions de biocontrôle, « alors même qu’ils n’ont pas été spécifiquement évalués », souligne Cécile Barbière. L’analyse bioinformatique que l’ONG a conduite, et qui compare les séquences de gènes visées chez les insectes ravageurs avec celles d’espèces non-ciblées, révèle que plus de 50 % des 26 pesticides ARNi en cours de développement étudiés pourraient avoir des effets mortels sur 136 espèces de pollinisateurs. « Conçus pour bloquer l’expression de certains gènes et inhiber les fonctions vitales qui leur sont associées chez les insectes ravageurs de culture, ces nouveaux pesticides génétiques pourraient éliminer indistinctement de nombreux insectes pollinisateurs, et précipiter leur déclin tout aussi efficacement que les pesticides chimiques qu’ils sont censés remplacer », précise Pollinis.
L’ONG demande de ce fait :
• l’exclusion explicite des pesticides ARNi de la définition des produits de biocontrôle, tels que définis dans le règlement européen SUR ;
• une évaluation des risques stricte et rigoureuse des pesticides ARNi par une agence indépendante, en accord avec le principe de précaution des Nations Unies ;
• la suspension immédiate de tous les essais en plein champ en Europe, jusqu’à la mise en œuvre de cette évaluation.