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Jean-François Soussana, Inra : « Des sécheresses jusqu’en 2040 »

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Directeur scientifique environnement à l’Inra, Jean-François Soussana a participé à la rédaction du dernier rapport du GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat*. Il a accordé une interview à Référence-environnement.com. Référence environnement : Notez-vous déjà des effets importants du changement climatique sur les rendements des cultures ? Jean-François Soussana : Le dernier rapport du GIEC se fonde en effet sur beaucoup plus d’observations qu’avant sur l’impact de la variabilité climatique sur le rendement des cultures. S’ils ont augmenté en trente ans, de 1980 à 2010, le changement climatique a freiné en moyenne de 5,5  % la production du blé, et de 3 à 4 % celle du maïs. Pour les autres cultures, on ne note pas d’effets significatifs. Par ailleurs, nous avons enregistré des périodes climatiques extrêmes : l’été le plus chaud en France depuis 500 ans en 2003 avec des pertes de rendement allant de 30 à 40 % ; un printemps 2011 le plus chaud et le plus sec depuis 80 ans avec des baisses de production de blé et des prairies, affectant l’élevage ; l’été 2010 en Russie, le plus chaud depuis 1500, avec des chutes de rendement qui ont conduit à une augmentation des prix des céréales dans le monde et une instabilité des cours. On sait donc que le changement climatique crée une vulnérabilité des systèmes alimentaires dans le monde. R.E. : Le dernier rapport du GIEC est particulièrement alarmiste… J.-F.S. : On s’attend à une aggravation des canicules et des sécheresses inévitables jusqu’en 2040. Ensuite, les projections peuvent évoluer si on joue dès à présent sur les émissions de gaz à effet de serre. Dans 80 % des cas, le changement climatique va induire une baisse des rendements, pouvant aller jusqu’à des pertes de 25 %. Il y aura des problèmes en matière de santé des plantes avec une augmentation des vecteurs de parasites et des infections fongiques. Sur l’élevage, on s’attend à un effet direct sur la productivité des animaux, notamment ceux adaptés à l’agriculture intensive. Des études aux Pays-Bas sur les vaches laitières confirment cette prévision. En France, nous savons que les porcs en finition, par exemple, ont du mal à évacuer la chaleur. Les cycles des prairies risquent de changer et les éleveurs vont devoir adapter le stockage. R.E. : Comment l’agriculture doit-elle s’adapter ? J.-F.S. : Il faut continuer sur ce qui est déjà fait : changement de date de semis et de récolte, utilisation de variétés à cycle plus court pour esquiver la période de chaleur. Les besoins en irrigation vont s’intensifier et il faudra adopter des itinéraires moins consommateurs en eau, envisager la création de retenues collinaires en prenant soin de préserver les zones humides, implanter plus de sorgho en adaptant les filières, diversifier les exploitations pour diluer les risques. La recherche doit accentuer ses efforts sur les systèmes économes en eau et la création de variétés tolérantes à la sécheresse et aux hautes températures. Sachant qu’il faut 10 à 15 ans pour créer une variété, il est urgent d’agir. * voir l’article : Climat : le Giec signe un nouveau rapport alarmiste