« Les analyses économiques et financières complètes des bassines sont essentielles », Sébastien Loubier, Inrae
Le | Recherche-developpement
Les manifestations dans les Deux-Sèvres mettent en lumière le débat autour des réserves de substitution, destinées à stocker l’eau en hiver pour réduire l’impact des prélèvements en été. Sébastien Loubier, ingénieur de recherche à l’unité G-Eau de l’Inrae, explique le fonctionnement de ces bassines et analyse les critiques qu’elles suscitent.
Comment fonctionnent les bassines ?
Sébastien Loubier : Les bassines, ou réserves de substitution, sont des infrastructures destinées à stocker de l’eau en hiver, lorsque les nappes phréatiques sont à leur niveau le plus élevé. Cette eau est ensuite utilisée en été, réduisant ainsi la pression sur les ressources naturelles pendant les périodes de sécheresse et permettant de préserver les débits biologiques des cours d’eau. Elles visent à atténuer l’impact des prélèvements agricoles, qui compromettent souvent l’écosystème des rivières durant l’été. En effet, en l’absence de réserves d’eau, les agriculteurs pompent de l’eau directement dans les rivières ou alors dans des nappes qui contribuent à réalimenter ces rivières, asséchant ainsi les cours d’eau et perturbant les écosystèmes.
Les projets de bassines sont soumis à des études d’impact sur le milieu aquatique. Elles doivent démontrer l’absence d’impact négatif sur les débits estivaux des cours d’eau et prouver que les prélèvements hivernaux ne compromettent pas l’équilibre écologique. Les bureaux d’études spécialisés utilisent des modèles hydrologiques et hydrogéologiques pour évaluer ces impacts. Bien que certaines études puissent être critiquées, il est généralement admis qu’elles sont réalisées par des professionnels compétents et selon des standards nationaux stricts.
Pourquoi sont-elles critiquées ?
Sébastien Loubier : L’un des principaux points de divergence réside dans leur perception par le public et certains acteurs du monde agricole. Les critiques les plus fréquentes portent sur l’accaparement de l’eau et la privatisation des ressources hydriques, bien que l’eau reste un bien commun selon la loi. Ces critiques sont souvent le reflet d’une opposition au modèle agricole intensif que les bassines semblent soutenir. Les détracteurs craignent que ces infrastructures ne favorisent un modèle agricole non durable et non adapté aux défis climatiques futurs.
Par ailleurs, la construction et l’entretien des bassines sont largement subventionnés par des fonds publics, avec des financements pouvant atteindre 70 %. Cela soulève des questions sur l’intérêt général de tels budgets et sur le retour sur investissement pour les contribuables. Les analyses économiques et financières pourraient mettre en évidence la contribution des bassines à l’intérêt général mais, bien que théoriquement obligatoires, elles sont souvent mal réalisées ou ignorées.
Un autre aspect du débat est la durabilité des bassines. Les infrastructures doivent être conçues pour une utilisation à long terme, sur 30 ans minimum jusqu’à à 60 ans. Si les bassines ne peuvent être utilisées que pour une période limitée, à cause des difficultés croissantes de remplissage éventuel en hiver à l’avenir, l’investissement initial pourrait ne pas être justifié.
Des doutes sont également exprimés sur la fiabilité et l’actualité des études d’impact, certaines associations dénonçant des études obsolètes qui ne tiennent pas compte des nouveaux contextes climatiques. Toutefois, la méthodologie et les modèles utilisés sont généralement robustes et suivent des guides nationaux validés par des institutions telles que l’Inrae et le BRGM. Il en va de la notoriété des cabinets d’études, qui ne peuvent pas se compromettre.
Il faut également considérer le coût des réserves. Elles nécessitent de l’énergie pour être remplies en hiver et pour distribuer l’eau en été. Avec l’augmentation probable du prix de l’énergie, le coût de l’eau pourrait devenir prohibitif pour certaines cultures comme le maïs conventionnel. Si l’eau devient trop chère, les bassines ne seront pas rentables. De plus, si la consommation de produits carnés diminue, la surface des grandes cultures irriguées pourrait aussi diminuer. Cela n’est pas pris en compte dans les plans actuels de dimensionnement des réserves.
Les agriculteurs irrigants ne seront pas les seuls impactés par les changements climatiques. En réalité, les premiers touchés seront ceux qui ne pratiquent pas l’irrigation. Nous injectons de l’argent public dans des systèmes qui ne sont pas les plus vulnérables. Des questions de réallocation de l’eau à moyen et long terme sur les territoires ne sont jamais abordées.
Pourquoi la réallocation de l’eau n’est-elle pas abordée et quel est le rôle de l’Etat ?
Sébastien Loubier : En raison de considérations politiques complexes et des implications économiques substantielles, la situation dans le Sud-Ouest est illustrative. Pendant au moins 30 ans, de 1980 à 2010, des prélèvements ont été autorisés dépassant les capacités naturelles du milieu. Actuellement, il est envisagé de réduire ces autorisations, mais cela rencontre une forte opposition politique de la part d’une profession agricole bien organisée. Une fois les autorisations de prélèvement et la construction de ces sites, cela devient presque irréversible. Cela soulève des préoccupations quant à la possibilité que ces réserves, bien que nécessaires peut-être dans 20 ou 30 ans pour d’autres usages, soient difficilement récupérables.
L’aspect économique est souvent relégué au second plan par rapport aux considérations politiques, notamment la nécessité d’apaiser les tensions locales et de respecter les engagements antérieurs de l’État vis-à-vis des infrastructures qui ont été réellement promises à un certain niveau. L’État se trouve dans une position inconfortable, étant co-responsable de l’autorisation de prélèvements excédant les capacités environnementales et tentant maintenant de les réguler sans succès complet. Ainsi, l’État opte souvent pour des solutions qui renforcent l’offre plutôt que de réduire la demande, illustrant une position ambiguë sur la question. La société civile, de son côté, affirme légitimement son influence depuis 15 à 20 ans, modifiant les dynamiques prévues initialement où la réduction des prélèvements aurait été compensée par la création de réserves. Ce désaccord alimente les conflits et souligne la complexité de la position de l’État sur ce sujet.
Quelles sont les solutions ?
Sébastien Loubier : Pour surmonter les conflits et les critiques, il est essentiel de développer une vision partagée et à long terme du territoire agricole. Cette vision devrait inclure des pratiques agricoles diversifiées, résilientes, et respectueuses de l’environnement, telles que l’agroécologie et les circuits courts. Les décisions d’aujourd’hui doivent être guidées par cette vision, en tenant compte des besoins futurs et des aspirations de l’ensemble des acteurs, y compris les associations environnementales et les agriculteurs non irrigants.
Les analyses économiques et financières complètes sont essentielles. Elles doivent démontrer l’intérêt général des bassines, garantir une utilisation optimale des fonds publics, et démontrer la capacité des utilisateurs finaux à payer l’eau à un prix qui couvre les coûts d’entretien des réserves et le renouvellement des infrastructures.
Il est nécessaire d’engager toutes les parties prenantes dans une concertation. Cela permettra de définir une vision commune et des objectifs à long terme. Il est important de démontrer que ces infrastructures bénéficieront à l’ensemble de la société et non uniquement à une minorité d’agriculteurs.
Et à un niveau plus agricole ?
Sébastien Loubier : Les bassines ne sont pas la seule solution. Il existe diverses étapes graduelles d’actions à envisager avant de recourir au stockage. Cela inclut la promotion de la sobriété dans l’utilisation de l’eau, l’optimisation du matériel agricole, la modification des pratiques culturales et des calendriers de semis. Ces stratégies de sobriété sont essentielles. Ensuite, il y a les approches basées sur les services écosystémiques qui, lorsqu’elles sont appliquées à l’agriculture, englobent des pratiques agroécologiques visant à restaurer et à favoriser l’infiltration dans les sols, ainsi qu’à accroître la capacité des sols à retenir cette eau. Cette augmentation de la capacité de rétention, réduit partiellement et à moyen terme la dépendance à l’irrigation.
Pendant des décennies, nous avons cherché à accélérer et stocker les flux d’eau. Aujourd’hui, il s’agit de ralentir ces flux pour permettre aux pluies de l’automne, de l’hiver et du printemps de retourner au milieu naturel en été, lorsque les besoins sont les plus importants.
Une fois ces mesures mises en œuvre, si elles ne suffisent pas pour restaurer le bon état de nos cours d’eau, alors nous pouvons envisager d’autres alternatives comme la recharge active des nappes, la réutilisation des eaux usées traitées ou l’élévation des seuils de barrages existants. Il y a donc une diversité d’alternatives à explorer avant de recourir au stockage.
Les bassines arrivent parfois trop tôt, avant que toutes les autres solutions aient été discutées.
Les associations environnementales ont parfois validé ces réserves ?
Sébastien Loubier : Bien que certaines bassines aient été validées par des associations environnementales, celles-ci ont des objectifs différents. Certaines cherchent à restaurer les milieux aquatiques à court terme, tandis que d’autres remettent en question le modèle agricole à long terme, mais qui va prendre une dizaine d’année. C’est une question de curseur.