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Nouvelles biotechnologies, « Sortir d’une approche binaire »

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Focus ce jeudi 7 avril à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’une audition publique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), organisée par le député Jean-Yves Le Déaut et la sénatrice Catherine Procaccia, sur les méthodes d’éditions du génome ou New plant breeding technologie (NPBT) dont le médiatique Crispr-cas 9.

Les biotechnologies offrent un potentiel considérable à la fois pour la médecine et pour l’agronomie. Autour de la table des discussions, l’OPECST a invité le 7 avril des représentants de la recherche publique et privée, des professeurs en médecine, des sociologues, des politologues, des économistes… Alors que le HCB a publié en février 2016 une note qui décrit ces techniques, les parlementaires ont décidé de se forger leur avis, avant de légiférer. La Commission européenne devra donner une interprétation juridique de leur classification : sont-elles ou non des OGM ? Au-delà de la performance de ces méthodes, les deux parlementaires soulèvent des questions économiques et éthiques. « Nous avons trente ans de recul avec les OGM, a souligné Jean-Yves Le Déaut. La stratégie qui prédomine est celle qui oppose les industriels aux anti-OGM et cela a conduit à une paralysie réglementaire. On a fait des lois pour ne pas cultiver des OGM mais en importer ». Son souhait : « Sortir d’une approche binaire ».

Pierre-Benoit Joly, économiste et sociologue, directeur de recherche à l’Inra, n’a pas hésité lors de son intervention à relever les contradictions du discours que pose la présentation des méthodes d’édition du génome : « On les qualifie de révolutionnaires et on voudrait ne rien changer : une telle posture fait la lie de la défiance. » Le champ d’application des NPBT est considérable. Pour Jean-Claude Pagès, professeur en médecine et président du comité scientifique du Haut conseil des biotechnologies, on peut provoquer une cassure du génome et observer les conséquences de la réparation. On peut aussi changer une séquence et apporter une variation génétique, comme ce serait le cas dans la nature, ou introduire un gène exogène dans une plante. Le travail en cours du HCB est de qualifier ces modifications et voir si elles peuvent s’intégrer dans le cadre réglementaire. « Ce qui est compliqué dans le dernier cas », a-t-il souligné. Le nécessaire temps de la recherche De son côté, Yves Bertheau, directeur de recherche à l’Inra et au Muséum d’histoire naturelle, considère que son rôle de scientifique n’est pas de statuer mais d’informer : « La discipline d’édition du génome possède une panoplie de techniques pas toutes complètement maitrisées. Que ce soit Cripr-cas 9, Talens, il faut prendre son temps pour évaluer et laisser la société civile décider ». Il ajoute : « On parle actuellement du plat, pas de la cuisine… ». Il interroge notamment sur les ratés (off target) et sur le stress cellulaire lié aux trous dans la membrane cytoplasmique.

Eric Marois, chargé de mission à l’Inserm de Strasbourg, parle de mutagenèse dirigée dans le cadre du programme qui a permis de rendre stériles des moustiques. L’idée est de couper un brin du chromosome qui code la fertilité chez la femelle. Le trou se comble avec une réplique du segment correspondant à l’autre chromosome de la paire. Il estime important pour développer de tels systèmes de bien différencier les espèces invasives, auxquelles on pourrait appliquer ce moyen de lutte, aux espèces autochtones afin de ne pas déséquilibrer les écosystèmes. Il pose la question d’un nécessaire encadrement, de la mise au point d’une stratégie d’ « antidotes ». Un potentiel en agronomie En agronomie, le projet français Breedwheat réunissant des partenaires publics et privés a été lancé en septembre 2011. Aux États-Unis, une pomme de terre résistante au froid, un blé résistant à l’oïdium ou encore des vaches sans cornes sont déjà au stade de l’application.

Pour Jean-Christophe Gouache, directeur des affaires internationales de Limagrain, la sélection variétale a besoin des outils les plus performants : « c’est inscrit dans les conclusions du rapport Innovation 2025 ». Michel Griffon, chercheur agronome et économiste, estime que ces techniques peuvent être inscrites dans le cadre d’une agriculture agro-écologique si elles apportent des mutations qui auraient pu se faire dans le cadre du vivant. Il voit un potentiel pour la résistance aux stress climatiques ou ceux liés aux ravageurs et parasites. Il met aussi en exergue la prudence sur la diffusion. Allusion faite aux risques de déploiement de phénomènes de résistances d’un ravageur par exemple, aux possibles surenchères par la nature. Enjeu international La technique fait déjà l’objet de dépôt de brevets, impliquant donc la présence de droits de propriété industrielle suite à son utilisation. André Choulika, pdg de Cellectis, interroge de son côté sur l’avenir de la recherche en Europe : « Si nous bloquons, nous allons revenir à la préhistoire de la recherche ». Et demande pourquoi une focalisation sur Crispr-cas 9 : « d’autres technologies que nous développons comme Talens sont bien plus efficaces ». Quant au champ d’investigation lié aux questions d’éthique, il est considérable. Jean-Claude Ameisen, médecin et président du comité consultatif nationale d’éthique, met en perspective la question des régulations internationales liées à ces techniques, notamment en médecine. Voir aussi l’article : Sept associations quittent le Haut conseil des biotechnologies