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Pour une agriculture sans pesticide chimique, « se poser les questions que personne ne se pose », Christian Huyghe

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Un an après le lancement au Salon de l’agriculture 2020 de la feuille de route européenne « Pour une agriculture sans pesticide chimique », son co-animateur, Christian Huyghe, fait le bilan des avancées et perspectives de l’initiative, pour Référence Agro. Le sujet de l’occupation du territoire devrait monter en puissance au cours des prochains mois.

Pour une agriculture sans pesticide chimique, « se poser les questions que personne ne se pose », Christian Huyghe
Pour une agriculture sans pesticide chimique, « se poser les questions que personne ne se pose », Christian Huyghe

C’était l’un des temps forts de l’édition 2020 du Salon de l’agriculture : l’engagement de 24 organismes de recherche, issus de 16 pays européens, dans la feuille de route « Pour une agriculture sans pesticide

chimique ». Un an après le lancement de l’alliance, et alors que la crise sanitaire de l’année 2020 a

bouleversé les calendriers, le co-animateur de l’initiative en France, Christian Huyghe, directeur

scientifique agriculture à l’Inrae, fait le point sur l’avancée des travaux pour Référence Agro.

Référence Agro : Quelle était l’ambition initiale de l’alliance « Pour une agriculture sans pesticide chimique » ?

Christian Huyghe : L’objectif est de pousser la recherche à explorer toutes les possibilités, pour trouver des alternatives à la chimie, de manière non-prescriptive. Cela oblige à étudier comment les filières peuvent mettre en place ces transitions, dès l’aval, avec quels impacts économiques, organisationnels, réglementaires, de politiques publiques, etc. L’objectif fixé est très ambitieux, nous devons donc utiliser tous les leviers et explorer de nouveaux fronts de science. L’échelle européenne de ces travaux présente plusieurs avantages, à savoir réunir davantage de compétences scientifiques et avoir une diversité de points de vue.

R.A. : Quels ont été les premiers travaux menés en 2020 ?

C.H. : L’année 2020 n’a pas été la plus facile pour mener des travaux basés sur la coopération entre différents organismes et pays. Comme beaucoup, nous avons travaillé autrement. Nous avons élargi notre réseau, avec maintenant 34 organisations et 20 pays associés. Cela nous permet d’avoir une vision plus large des différents enjeux existant au niveau européen. Nous avons lancé un travail de prospective sur ce à quoi ressemblerait la protection des plantes en 2050. Ces travaux sont en cours, combinés au programme « Cultiver et produire autrement », et quatre webinaires ont été organisés, réunissant chacun 200 personnes. Cela nous a permis d’alimenter nos réflexions, d'élargir notre panorama. Nous sommes également en train de construire des projets pour répondre à des appels à projets européens Horizon Europe de la Commission européenne. Par ailleurs, dans le cadre du Green Deal, un item de la stratégie Farm to Fork concerne la réduction de l’utilisation des pesticides et des fertilisants. Un financement de 12 M€ est à décrocher. L’alliance a décidé de porter un projet ambitieux couvrant une large diversité de cultures, nous avons déposé notre dossier fin janvier. Les lauréats seront annoncés en juillet prochain.

R.A. : Quels seront les priorités pour 2021 ?

C.H. : Au-delà de la mise en œuvre de ce qui était inscrit dans la feuille de route signée en février 2020, à mon sens, un des sujets qui va monter en puissance, notamment dans le cadre des discussions européennes, est celui de l’occupation du territoire et comment on l’envisage. Quand on parle d’agroécologie en France, il y a une hypothèse sous-jacente forte : celle de l’occupation de tout l’espace de façon raisonnable, en combinant production agricole et préservation de la biodiversité : c’est le land-sharing. Mais une autre vision existe, celle du land-sparing, c’est-à-dire créer des réservoirs de biodiversité et produire au maximum sur le reste du territoire. Des papiers de la FAO et de l’USDA ont récemment critiqué le Green Deal en disant que cette politique ne permettra pas d’assurer une production alimentaire suffisante. Selon eux, il faudrait aller vers le land-sparing, sans préciser les surfaces de ces réservoirs. Cette question pourrait devenir centrale dans l’alliance. Nous devons faire la démonstration de la pertinence de l’hypothèse du land-sharing. Nous nous posons ou devons nous poser les questions que personne ne se pose.

R.A. : Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur vos travaux ?

C.H. : Nous n’avançons pas au rythme que nous aurions souhaité. Nous avions prévu deux séminaires en 2021 : un technique en Lituanie, et un autre autour de l’acceptabilité sociale en Suisse, à l’occasion d’une « votation » sur l’acceptabilité des produits phytosanitaires. Tout a été repoussé. En avril, l’ensemble des appels à projets de Horizon Europe pour 2021 et 2022 vont tomber, et il y en aura beaucoup sur la protection des cultures. Nous étudierons ces sujets pour y répondre.