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Rapport IPBES sur la biodiversité, « l’homogénéité tue le vivant », Thierry Caquet, Inra

Le | Recherche-developpement

Fruit d’un travail de trois ans, le rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), rendu public le 6 mai 2019, dresse un constat sans appel sur l’érosion de la biodiversité. Rôle de l’agriculture et de l’élevage, gestion des sols, remise à plat du système mondial actuel, préservation de la biodiversité dans les territoires ruraux : Thierry Caquet, directeur scientifique environnement de l’Institut national de la recherche agronomique, Inra, livre ses réactions à Référence environnement.

Référence environnement : Comment accueillez-vous la publication du rapport de l’IPBES ?

Thierry Caquet : Je salue le travail objectif des collègues du monde entier qui ont réuni les connaissances mondiales sur la biodiversité et les services écosystémiques. Un état des lieux de la situation malheureusement sans surprise !

Ce rapport affiche un diagnostic des causes de perte, liées notamment à l’agriculture et au développement de la population. La raréfaction et l’extinction des espèces sont très souvent un dommage collatéral de déséquilibres, comme par exemple ceux liés aux systèmes alimentaires des pays du Nord. Le changement d’usage des terres, premier facteur de perte de biodiversité, est directement lié à l’agriculture. Sa nature est variable selon le pays considéré : déforestation en Amazonie, assèchement des zones humides ou artificialisation des sols dans nos campagnes. Toutes les régions sont concernées.

Nos modes de vie vont devoir bouger car l’autonomie alimentaire de nombreux pays n’est plus garantie aujourd’hui.

R.E. : Comment progresser sur la remise à plat du système agricole mondial ?

T.C. : C’est un nouveau paradigme pour tout le monde, y compris pour l’Inra qui avait pour mission originelle d’augmenter la production alimentaire à la sortie de la seconde guerre mondiale. Depuis près de dix ans, nous travaillons dans une logique agroécologique, en repensant le système agricole et alimentaire afin qu’il repose de plus en plus sur la biodiversité et les processus naturels. La cible n’est plus la production agricole maximale, mais la stabilisation et la capacité à assurer une plus grande résilience au système. Parmi les leviers : les régulations biologiques, la diversification intra-parcellaire ou le rallongement des rotations…

R.E. : Le travail du sol n’est pas mentionné comme un facteur aggravant de la perte de biodiversité. Pourquoi ?

T.C. : Le rapport est un résumé pour décideurs, la synthèse par région est beaucoup plus précise. Au niveau macroscopique, la cause principale est la destruction des écosystèmes dans le but premier de permettre la production agricole. L’impact du labour, héritage de plusieurs siècles d’agriculture, ne se situe pas à la même échelle. Le sol reste une « boîte noire » en ce qui concerne la biodiversité. Et ce, même si nous commençons à avoir une petite idée de la diversité et de la répartition des micro-organismes à l’échelle de la France, par exemple.

R.E. : L’élevage est ciblé en raison de sa forte utilisation des terres. Pourtant, à travers les prairies, il permet aussi un maintien de la biodiversité. Comment dépasser ce paradoxe ?

T.C. : La question de l’élevage est au cœur d’une vraie tension. La population humaine augmente sa ration carnée, notamment sous l’impulsion des classes moyennes en Inde et en Chine. Cela n’est pas sans conséquences sur la biodiversité et le climat. Nous devons rééquilibrer la part de protéines animales et végétales avec une cible que nous pouvons penser raisonnable à 50/50. La réduction des effets négatifs de l’élevage passe aussi par une reconquête de l’autonomie protéique à la ferme.

Dans les moyennes montagnes, l’élevage est structurant pour la biodiversité. S’il disparaît, les paysages se referment avec une modification des cortèges d’espèces, tendant à laisser davantage de place aux broussailles, ronces, chardons, etc. L’élevage permet aussi de boucler les cycles biogéochimiques. Son maintien passe également par une plus forte diversification en termes de races voire d’espèces au sein d’un même élevage, en mettant des bovins avec des ovins par exemple, et en intégrant les races locales dans la sélection génétique.

R.E. : Le rapport met en exergue les petites exploitations de moins de deux hectares, qui présentent une agrobiodiversité riche. Un pas vers le « Small is beautiful » ?

T.C. : Le rapport laisse en effet penser qu’une partie des solutions se trouve dans les communautés traditionnelles, où les pratiques sont spontanément agroécologiques. Le retour vers une agriculture familiale peut être entendu, mais je ne suis pas convaincu qu’on puisse le faire spontanément. Ce sont aussi des choix politiques. Nous devons imaginer l’agriculture de demain pour la France. Elle sera sûrement faite de plusieurs modèles, qui coexisteront en 2030-2050, plus proches des contraintes et des attentes des territoires.

R.E. : Faut-il privilégier des espaces mixtes ou séparer l’acte productif des zones de protection de la biodiversité ?

T.C. : Le débat n’est pas clos. Une des évolutions majeures du rapport est de ne pas prôner une vision statique, où la biodiversité doit être protégée des actions humaines à des endroits limités. Il faut penser la mixité des espaces pour laisser des opportunités à la biodiversité. Les populations de certaines espèces communiquent à partir de différents « patchs » : dans de nombreux cas, le maintien d’une population locale n’est pas possible sans échange avec d’autres.

Le rapport parle beaucoup des espèces menacées d’extinction, mais il ne faut pas oublier les autres symptômes de l’appauvrissement de la biodiversité : moins d’individus, de flux entre populations… La biodiversité a besoin d’échanges. L’homogénéité tue le vivant : la mixité des paysages sera une assurance pour l’avenir !