Reconsidérer la gouvernance des risques sanitaires et environnementaux
Le | Recherche-developpement
Comment rétablir la crédibilité de l’expertise scientifique ? Ce sujet plus que d’actualité est l’objet même du colloque international organisé par l’Anses, en distanciel, sur janvier et février 2021. Ses conclusions seront entre autres utilisées pour nourrir les réflexions du Conseil scientifique de l’Agence.
Initialement programmé en présentiel au printemps 2020, le colloque international de l’Anses intitulé “Crédibilité de l’expertise scientifique et décision publique” a dû être reporté en raison de la crise sanitaire. Découpé en plusieurs sessions, il a démarré en distanciel le 20 janvier 2021 et se terminera le 9 février. Son sujet, en cette période, est d’une actualité brûlante. Pas moins de 1 200 personnes à travers le monde se sont inscrites au colloque. Si la part belle est donnée à la Covid-19, les biotechnologies et les pesticides ont leur place dans le programme.
Rétablir une crédibilité forte de l’expertise scientifique
L’objectif du colloque est “d’identifier les conditions propices à rétablir une crédibilité forte de l’expertise scientifique”, a souligné en ouverture Roger Genet, directeur général de l’Anses. Les conclusions seront notamment utilisées pour nourrir les réflexions du Conseil scientifique de l’Agence. Car les controverses scientifiques, les fausses informations et la crise de confiance du public n’ont fait que s’amplifier ces dernières années. L’urgence de reconsidérer la gouvernance des risques sanitaires et environnementaux, avec une redéfinition du rôle de chacun, se fait sentir.
D’où les experts tirent leur autorité ? Comment peuvent-ils continuer d’assurer leur mission par ces temps de fake news et de théories du complot ? Comment s’assurer de leur indépendance ? Pourquoi sont-ils décriés et comment faire avec cette défiance ? Comment les politiques s’emparent-ils de leurs travaux ? Jusqu’à quel point nos sociétés dépendent-elles de leurs avis et de leurs recommandations ? Quelle place laisser au quatrième pouvoir, le pouvoir médiatique ? Aux associations, ONG, citoyens ? Autant de questions auxquelles les différents intervenants internationaux tenteront d’apporter leurs réponses.
Accroître la participation citoyenne
La répartition des rôles entre experts scientifiques, décideurs publics et la société dans son ensemble fait partie des questions primordiales. Les problématiques sanitaires “appellent des choix de société qui nécessitent une très large information du public pour le bon fonctionnement de nos démocraties, a précisé Roger Genet. Nos concitoyens souhaitent de plus en plus être associés aux choix qui les concernent en matière de santé et particulièrement en période de crise”.
Pour le directeur général de l’Anses, la création des agences de sécurité sanitaire, il y a maintenant une vingtaine d’années en Europe, n’a pas suffi à rétablir la confiance des citoyens. Pourtant, ces agences s’appuient sur des collectifs d’experts scientifiques indépendants mettant en œuvre une expertise pluridisciplinaire, collégiale, contradictoire.
“Cette situation nous conduit à nous interroger sous l’angle des sciences humaines et sociales aux conditions qui fondent la crédibilité de l’expertise scientifique”, a relevé Roger Genet, pour qui cette crédibilité de l’expertise est la raison même d’exister de l’Anses. Et de rappeler le dialogue permanent instauré par l’Agence : “Cette crédibilité, l’Anses l’a fondée sur des processus exigeants, en ayant à cœur d’être à l’écoute et de nouer d’étroites relations avec l’ensemble des parties prenantes, acteurs publics, élus, associations, syndicats professionnels, pour échanger avant, pendant et après l’expertise”.
Intégrer la parole défiante
“La confiance se gagne en gouttes et se perd en litres”, a rappelé le philosophe Daniel Agacinski, lors de son intervention le 20 janvier. Selon lui, les scientifiques pâtissent de la défiance aux politiques et rétablir la confiance est une chimère. L’important est de comprendre et d’intégrer la parole défiante, de rétablir le dialogue. “La connaissance scientifique n’est pas supérieure à d’autres, les scientifiques ne sont pas les seuls acteurs”, a-t-il insisté.
Sa vision a été confortée par les sociologues Ortwin Renn et Sheila Jasanoff, qui sont respectivement intervenus d’Allemagne et des États-Unis. “Les institutions de gouvernance doivent être révisées, avec une approche pluraliste, l’implication du public et de toutes les parties prenantes pour avoir un consensus social et pour que tout le monde soit à l’aise avec le niveau d’incertitudes. Prendre en compte l’expérience de ceux qui sont impactés est essentiel pour obtenir une politique équilibrée”, a précisé Ortwin Renn.
“Il faut élargir le débat, prendre en compte d’autres formes d’expertise”, a insisté Sheila Jasanoff.