L’Inra veut mieux cadrer les démarches de reterritorialisation de l’alimentation
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« Notre objectif est d’accompagner au mieux la reterritorialisation de l’alimentation, qui n’est pas une fin en soi, mais une transition vers des systèmes alimentaires plus sains et durables », affirme Philippe Mauguin, président-directeur général de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), le 28 novembre. La structure organisait ce jour un colloque sur le sujet. « La dynamique est très forte, mais multiforme, il est donc difficile de la délimiter », poursuit Philippe Mauguin, qui indique également que le sujet serait une des priorités d’Inrae, issu de la fusion de l’Inra et de l’Irstea, en 2020.
Pour mieux appréhender le phénomène, l’Inra a mené une enquête nationale, entre 2018 et 2019, dont les premiers résultats ont été présentés. « Nous voulions dresser un état des lieux. 172 entretiens ont été réalisés auprès d’ONG, d’organisations de recherches, de syndicats agricoles, d’entreprises… », explique Yuna Chiffoleau, chargée de recherche à l’Inra ayant co-dirigé cette enquête.
Des bénéfices pour la durabilité et les exploitants indéniables
En France, près de 20 % des exploitations, soit 100 000 agriculteurs, s’inscrivent dans un circuit court. Cela représente 10 % de la consommation alimentaire globale. Un choix de relocalisation de plus en plus fréquent, qui s’explique par des intérêts non-négligeables, pour les agriculteurs mais aussi les consommateurs. L’étude liste notamment la rupture de l’isolement et l’entretien du lien social, participant à l’attractivité du secteur ; une meilleure captation de la valeur ajoutée ; un changement des pratiques agricoles plus important suite à un contact direct avec le client.
« L’intérêt pour la durabilité de ces systèmes reterritorialisés est reconnu », résume Yuna Chiffoleau. Des démarches locales qui se manifestent de bien des manières. Il existe, selon des cartes réalisées dans le cadre de cette étude, 2500 Amap, 10 000 marchés, 690 marchés de producteurs et 400 magasins de producteurs.
De nombreux défis à relever pour structurer ce phénomène protéiforme
L’étude et les différentes interventions de la journée ont souligné les nombreux défis à relever et les pièges à éviter pour structurer la reterriorialisation de l’alimentation. La définition du « local » reste à fixer et harmoniser. Le risque existe aussi de voir la dynamique s’arrêter, ou se limiter aux efforts à fournir en restauration collective, dans le cadre des objectifs fixés par le gouvernement. « Cela peut aussi faire peser une grosse pression sur les producteurs, déjà sous le coup de celle des consommateurs, prévient Yuna Chiffoleau. Attention également à ne pas exclure de la démarche les agriculteurs en difficulté, et à la concurrence entre les territoires qui veulent chacun porter leur propre initiative. »
La relocalisation de l’alimentation pose également des questions sur les sujets logistique et sanitaire, liées à l’impact écologique du transport fréquent de petits volumes, ou à la nécessaire acquisition de compétences pour la transformation des produits par les acteurs locaux. De manière générale, les auteurs de l’étude mettent en garde contre l’idéalisation de ce phénomène ou le repli sur le local, qui pourrait amener, par exemple, à une baisse de diversité des régimes alimentaires.
Attention aux « circuits longs de proximité »
L’étude évoque également ce qui pourrait être qualifié de « circuits longs de proximité ». Sarah Millet-Amrani, qui réalise une thèse sur le rôle des circuits courts dans la transition agroécologique des exploitations, met ainsi en garde contre l’ambiguïté parfois entretenue entre « circuits courts » et « marché de la proximité ». « Il y a une valorisation croissante de la « proximité » auprès des consommateurs, explique-t-elle. Mais en grande distribution, il y a un glissement du court vers le local, aboutissant à des circuits longs et locaux, où les produits passent par des centrales d’achat. »
Un point de vigilance également soulevé par Gilles Maréchal, du cabinet Terralim et co-rédacteur de l’enquête de l’Inra, présentée ce jour : « La reterritorialisation ne marchera pas seulement en extrapolant ce qui est fait aujourd’hui de manière globale, à l’échelon local. »
Les PAT marquent le pas
La structuration de la reterritorialisation ne se fera donc pas sans accompagnement. Les projets alimentaires territoriaux (PAT), mis en place depuis la loi sur l’avenir agricole de 2014, semblaient être la voie tout indiquée. Mais leur mise en œuvre marque le pas, aboutissant à une réorientation de la stratégie nationale. « L’objectif initial était de 500 PAT en 2020. Aujourd’hui une centaine est mise en place. Notre ambition désormais est d’avoir un PAT par département, pour avoir une couverture de tout le territoire. Le programme national de l’alimentation 2019-2023 prévoit d’amplifier ce mouvement de reterritorialisation », explique Cédric Prévost, sous-directeur de la Direction générale de l’alimentation (DGAL).
Une certitude : cette dynamique devra s’adapter aux réalités de chaque territoire, pour lesquels la relocalisation ne saurait toujours suffire. « Si les 12 millions de Franciliens n’avaient plus accès aux productions des régions voisines, ils ne mangeraient plus grand chose ! », lance ainsi François Mauvais, responsable de l’offre alimentaire en Île-de-France (Driaaf). Davantage de données seront également nécessaires pour mieux cerner et accompagner la solidification de cette dynamique. Dans ce sens, l’Inra souhaite construire un « observatoire de l’alimentation de proximité, ouvert et participatif. « Cela devra permettre à chacun d’avoir des informations dans le temps, au-delà d’une simple photographie à un instant T. Nous souhaitons également engager les citoyens dans cette démarche », précise Grégori Akermann, chargé de recherche à l’Inra.