SDHI et principe de précaution, le point avec Denis Zmirou-Navier, de la cnDAspe
Le | Recherche-developpement
La Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe) poursuit ses travaux sur le différend scientifique relatif à la potentielle dangerosité des fongicides de la famille des SDHI. Entretien avec Denis Zmirou-Navier, docteur en médecine, professeur de santé publique et président de la cnDAspe.
Le 18 novembre 2019, la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe) rendait son avis sur le signalement de possibles risques liés à l’utilisation de fongicides de la famille des SDHI. Elle recommande la poursuite de travaux de recherche et informe de son engagement dans une réflexion visant à produire un document méthodologique. Celui-ci doit permettre de justifier au plus vite le recours au principe de précaution lorsque de nouvelles données scientifiques émergent. Explication, avec Denis Zmirou-Navier, docteur en médecine, professeur de santé publique, et président de la Commission.
[caption id=« attachment_72055 » align=« alignright » width=« 262 »]
« Le dossier SDHI a mis en lumière la déconnexion entre le temps de la recherche et le temps de la toxicologie réglementaire » : Denis Zmirou-Navier, président de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement.[/caption]
Référence agro : Comment expliquez-vous le différend entre l’équipe de chercheurs menée par Pierre Rustin (Cnrs/Inserm/Inrae) et l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire ?
Denis Zmirou-Navier : Les chercheurs CNRS/Inserm/Inrae et l’Anses ne font pas le même métier et dans le cas des SDHI, chacun a correctement fait le sien. Les chercheurs ont fait connaître des résultats mettant en lumière, dans leurs laboratoires, une potentielle dangerosité. L’Anses, qui se situe en aval de cette connaissance, a pour sa part besoin d’expertises collectives pour proposer de modifier les critères d’utilisation d’un produit présent sur le marché. Elle doit avoir un minimum de confirmation et de consolidation. La confirmation nécessite des résultats convergents d’au moins une autre équipe de chercheurs indépendante : l’expérience enseigne en effet que certains résultats dépendent des outils ou méthodes utilisés par les chercheurs, et leur stabilité doit être vérifiée. La consolidation, quant à elle, permet de s’assurer que ces résultats observés sur des cellules sont cohérents avec ceux qui seront retrouvés chez l’animal entier ; elle permet aussi de conclure que le danger identifié entraîne un risque. Dans le cas des SDHI, si le danger était avéré, quels sont les risques réels pour les différentes espèces animales et l’homme, compte tenu de leurs conditions d’exposition ?
R.A. : Quel est le rôle exact de la cnDAspe ?
D.Z.-N. : Notre Commission a été créée pour veiller à ce que les signalements sérieux émis par la société civile soient suivis de réponses et que les organismes publics d’expertise comme l’Anses dans cet exemple des SDHI, aient les meilleures pratiques déontologiques ; nous portons pour cela un regard extérieur critique. Pour rester sur cet exemple, toute découverte d’une anomalie biologique ne se traduit pas nécessairement par des risques graves pour la biosphère, notamment pour l’homme, qui exigeraient des décisions lourdes des autorités politiques. Et de l’autre côté, l’Anses, comme toute instance, se crée en interne une culture pouvant conduire à une certaine myopie institutionnelle engendrant un potentiel manque de réactivité. Ceci est d’autant plus vrai que l’Agence est chargée, sur les pesticides, d’évaluer les risques et de gérer les autorisations de mise en marché, deux missions qui sont par nature en tension ; elle doit continuellement veiller à ne pas être à la fois juge et partie.
R.A. : Le principe de précaution, défini par l’article 5 de la charte de l’environnement, impose « la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et l’adoption de mesures provisoires et proportionnées ». L’Anses respecte ce principe. Comment peut-on améliorer la prise en compte rapide de potentiels dangers ?
D.Z.-N. : Le dossier SDHI a mis en lumière la déconnexion entre le temps de la recherche et le temps de la toxicologie réglementaire. Si le doute sur un potentiel danger découvert par des scientifiques s’avère sérieux, si ce danger est confirmé et consolidé, nous ne devons pas, pour agir, attendre la réévaluation des molécules et produits conduite dans le cadre d’un renouvellement d’autorisation, soit jusqu’à 10 ans plus tard. Mais les décisions des pouvoirs publics doivent se fonder sur des données scientifiques, non sur des critères de battage médiatique.
L’idée de la cnDAspe est d’inviter les organismes compétents, comme les établissements de recherche, les agences d’expertise…, à élaborer un document méthodologique détaillé exposant les conditions minimales d’ordre scientifique pouvant justifier le recours au principe de précaution lorsque des données scientifiques nouvelles suggèrent des risques sérieux en lien avec des produits chimiques présents sur le marché. Quels sont les signaux scientifiques à partir desquels les pouvoirs publics doivent se sentir tenus d’agir ? Le Comité de la prévention et de la précaution (CPP), notre conseil scientifique, est saisi pour proposer à ces organismes compétents une méthode de travail partagée afin de la mettre en œuvre, si possible à partir de 2021. Et ce, afin d’aider les pouvoirs publics dans la gestion des risques de l’ensemble des produits chimiques mis sur le marché. Nous sommes conscients que cette ambition est de taille. Les moyens à mobiliser pour arriver à cet objectif sont également à définir et à trouver.