Référence agro

Stratégie nationale bas carbone, l’Iddri dessine des scénarios pour une transition « juste »

Le | Recherche-developpement

Dans un rapport présenté le 24 mars, l’Iddri s’intéresse aux conditions politiques d’une « transition juste des systèmes alimentaires ». Deux scénarios, centrés sur les filières bovins lait et grandes cultures, ont été dessinés pour 2030, avec l’ambition d’atteindre les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone. Un travail important qui devra néanmoins être approfondi selon les acteurs de la recherche et de la coopération agricole.

Stratégie nationale bas carbone, l’Iddri dessine des scénarios pour une transition « juste »
Stratégie nationale bas carbone, l’Iddri dessine des scénarios pour une transition « juste »

C’est le résultat d’une recherche entamée il y a trois ans, financée par les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique, ainsi que l’Ademe. Le 24 mars, l’Iddri a présenté les conclusions de son rapport « Vers une transition juste des systèmes alimentaires - Enjeux et leviers politiques pour la France  », réalisé en partenariat avec le Basic. Le document porte sur les leviers politiques à déployer pour atteindre les objectifs du volet agricole de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), à savoir diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture d’ici à 2030. « Cela serait un euphémisme de dire que les politiques publiques actuelles, comme la SNBC ou la stratégie Farm to Fork suscitent des craintes dans le monde agroalimentaire, explique Pierre-Marie Aubert, en charge de l’initiative « Politiques publiques pour l’agriculture européenne » à l’Iddri et co-auteur du rapport. Ce travail doit permettre d’y voir plus clair sur les conditions pour que cette transition bas-carbone soit vertueuse sur le plan socio-économique. »

Deux scénarios contrastés…

Les chercheurs de l’Iddri et du Basic se sont focalisés sur les filières bovins lait et grandes cultures. Ce choix a été fait en raison du poids de ces secteurs, couvrant 70 % de la SAU française. Deux scénarios contrastés, pour l’horizon 2030, ont été mis au point. Ils reposent sur quatre composantes : l’efficience, le mix produit, la production de bioénergie et la séquestration de carbone. Le premier, intitulé « France duale », prend l’hypothèse de politiques publiques centrées sur les enjeux climat, mais ne remettant pas en cause les logiques de concentration et de spécialisation agricoles. Les régimes alimentaires évolueraient peu. Le second modèle, nommé « Recompositions », privilégie une approche multifactorielle prenant en compte le climat mais aussi la biodiversité, la santé et l’emploi. Il inclut un plus grand rééquilibrage des régimes alimentaires, des systèmes de culture plus diversifié, associant davantage l’élevage.

… mais des impacts très différents

Si les deux scénarios permettent d’atteindre l’objectif de la SNBC, les conséquences socioéconomiques sont beaucoup plus favorables dans le cas du second scénario. Le premier entraînerait une accélération de la disparition des exploitations (- 9 % des emplois associés par rapport au scénario tendanciel, c’est-à-dire le rythme actuel), alors que le second permettrait une hausse de 10 % des emplois par rapport à ce qui est actuellement prévu pour 2030, sans perte de revenu. Il serait également plus favorable à la reconquête de l’agrobiodiversité, contrairement au premier scénario qui n’entraînerait pas de changements majeurs à ce sujet, tout comme pour la qualité de l’alimentation.

Un scénario encore loin d’être réalité

« Ce deuxième scénario semble parfait, mais nous devons encore beaucoup travailler pour le rendre crédible, nous ne disposons actuellement que de peu de leviers, nuance néanmoins Philippe Mauguin, PDG de l’Inrae. Nous devons réfléchir à développer de nouveaux outils incitatifs. » Si l’échelle territoriale a une nouvelle fois fait l’unanimité pour tester des modèles agroalimentaires innovants, les attentes sont surtout très fortes pour le niveau européen, et notamment pour une plus grande ambition de la Pac. « Ce projet ne peut être qu’européen, pose Pierre-Marie Aubert. Il faut faire converger les visions pour que celle de la France ne soit pas rendue caduque et ne pas renforcer les tensions autour de la compétitivité avec les autres pays. »

Etendre les travaux à d’autres filières

La réussite de cette transition s’apparente néanmoins à « un jeu de Mikado » pour la directrice générale de La Coopération agricole, Florence Pradier : « des changements doivent être opérés mais sans tout faire s’effondrer ». Si elle reconnaît l’intérêt de ces travaux, elle insiste néanmoins sur le fait que les filières choisies par les auteurs de l’étude sont exportatrices. « C’est important de le préciser car ce n’est pas le cas de tous les secteurs, la France n’est pas autosuffisante, l’étude mériterait de porter sur un panorama global de l’agriculture française », estime-t-elle. Selon elle, d’autres paramètres devraient également être pris en compte, comme le marché privé de la rémunération du stockage du carbone ou la gestion du risque du changement de pratique. « L’adaptation au changement climatique nécessitera de la recherche et de l’innovation, car il n’y a pas une transition à réaliser mais 400 000 dans chaque exploitation. La transition agroécologique ne pourra être standardisée, il faudra faire de la dentelle », souligne-t-elle.

 

*Basic : Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne