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« Un rapport commun avec le Giec sur la biodiversité et le climat », Paul Leadley, membre de l’IPBES

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Fruit d’un travail de trois ans, le rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) , rendu public le 6 mai 2019, dresse un constat sans appel sur l’érosion de la biodiversité. Paul Leadley, professeur à l’Université Paris-Sud à Orsay, membre de l’IPBES, a participé à l’écriture du rapport. Il explique à Référence environnement les prises de position du groupe d’experts, le rôle de l’agriculture et la suite de ce travail.

Référence environnement : Comment avez-vous identifié les impacts directs et indirects de l’agriculture ?

Paul Leadley : Nous avons utilisé, entre autres, les données de l’UICN, Union internationale pour la conservation de la nature, qui permettent d’évaluer pour chaque espèce les pressions et la modification des tailles des populations. Ces mesures sont assez fiables pour mesurer l’impact de changements d’utilisation des terres sur la biodiversité.

Les données paléontologiques nous fournissent des mesures de vitesse d’extinction naturelle. Depuis quelques siècles, nous voyons ce taux s’accélérer drastiquement. Nous disposons aussi de documentation sur les causes de l’extinction pour la grande majorité des cas. L’action humaine est totalement évidente.

R.E. : Est-ce que l’activité agricole est compatible avec le maintien de la biodiversité ?

P.L. : De façon générale, l’agriculture a actuellement un impact néfaste pour la biodiversité, car elle nécessite de plus en plus de terres aux dépens du milieu naturel. Les apports d’intrants sont des causes majeures d’appauvrissement de la biodiversité des milieux terrestres, mais aussi un problème pour les espèces marines car les engrais et autres polluants débouchent sur les côtes via les rivières. Faut-il séparer les zones agricoles des aires protégées ? Le rapport ne tranche pas, car le débat scientifique perdure. Les scenarios et les modèles montrent que la séparation des espaces, entre production et préservation, est potentiellement positive, si la tendance est à l’intensification durable des pratiques agricoles. Une agriculture extensive est aussi potentiellement bénéfique pour la biodiversité à condition que les surfaces des terres agricoles ne s’étendent pas trop.

R.E. : Au niveau de l’élevage, une véritable tension se ressent : d’un côté l’utilité des prairies pour le maintien de la biodiversité, de l’autre une forte consommation de terres arables pour l’alimentation du bétail. Comment abordez-vous ce dilemme ?

P.L. : Il est évident que la diminution de consommation de viande rouge peut avoir un impact extrêmement positif sur la biodiversité et le climat. Si tout le monde en consomme autant qu’aux États-Unis, Argentine ou Australie, il sera presque impossible de nourrir une population humaine croissante et préserver la biodiversité en même temps. Mais pousser à l’extrême cette diminution pourrait avoir des effets négatifs sur la biodiversité, car les prairies permanentes possèdent plus d’espèces par unité de surface, et souvent avec de forte valeur patrimoniale. Si la prairie n’est pas pâturée, nous perdons cette diversité.

R.E. : Est-ce que le constat est identique pour la viande blanche ?

P.L. : Toute consommation de protéine animale pose des problèmes, car la production de viande est très peu efficace en termes de biodiversité et du climat, par rapport à une consommation de protéine végétale. Mais il n’est pas nécessaire d’arriver jusqu’au végétarisme ou au véganisme. En général, le poisson et les volailles sont beaucoup plus « efficaces » en termes environnementaux, que les bovins, et causent moins d’impacts sur le climat et la biodiversité.

R.E. : Vers quel modèle l’agriculture française doit-elle se tourner pour mieux préserver la biodiversité ?

P.L. : Elle doit tendre vers l’agroécologie et la Haute valeur environnementale (HVE). La diminution des impacts sur l’environnement peut se réaliser avec des pratiques peu chères. Mais les agriculteurs ont besoin d’une aide scientifique pour trouver les solutions, ainsi que des instituts techniques pour diffuser et développer les innovations. L’État doit aussi apporter un soutien, comme sur le développement des légumineuses. Il faut modifier l’ensemble des filières, de la production à la consommation : on ne peut pas demander aux agriculteurs d’agir seul et à perte.

R.E. : Le rapport insiste sur la corrélation entre biodiversité et climat. Les outils d’évaluation sont-ils suffisamment adaptés pour englober toutes ces interactions ?

P.L. : Oui, progressivement. Nous travaillons avec le Giec pour construire un rapport commun. L’impact du changement climatique sur la biodiversité est extrêmement important. Et la biodiversité peut contribuer à l’atténuation du changement climatique.

R.E. : Est-ce que les gouvernements sont suffisamment sensibilisés ?

P.L. : Les gouvernements ont approuvé le document. Il montre aussi que beaucoup d’objectifs et de mesures de protection de la biodiversité au niveau mondial et national sont mises en place. Quand ses mesures sont accompagnées de moyens suffisants, elles semblent plutôt efficaces. Mais souvent le manque de moyens est flagrant.