Déforestation importée, « de nombreux points du règlement vont compliquer l’activité des entreprises », Françoise Labalette, Terres Univia
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La Commission européenne a adopté et publié un texte le 9 juin 2023 sur la déforestation importée. Cette nouvelle réglementation oblige désormais les entreprises à vérifier que leurs marchandises vendues dans l’Union européenne n’ont pas contribué à la déforestation ou à la dégradation des forêts, où que ce soit dans le monde, après le 31 décembre 2020. Comment les acteurs français de la filière soja abordent-ils cette nouvelle donne ? Explications avec Françoise Labalette, directrice adjointe et responsable du pôle économie et filières à Terres Univia, l’Interprofession des huiles et protéines végétales.
Référence agro : Quel est votre avis sur le règlement 2023/1115 sur la déforestation importée ?
Françoise Labalette : Les opérateurs français sont favorables au texte qui assure que nos productions françaises, en particulier l’alimentation de nos élevages, ne contribuent pas indirectement à la déforestation et à la dégradation des forêts. Il est parfois appelé « Règlement sur la déforestation importée » car nous savons que les grandes zones de déforestation se situent dans des pays tiers hors de l’Union européenne mais il s’applique dans tous les pays. Tous ceux qui mettrons en marché des produits visés par ce règlement vont devoir l’appliquer, comme la France bien sûr. Par ailleurs, le règlement ne prévoit pas d’actes d’exécution pour préciser les modalités d’application. Il s’applique tel quel. Il concerne un certain nombre de produits, listés de façon précise dans l’annexe du règlement, comme le cacao, l’huile de palme, les bovins viande, le bois, ou encore le soja, qui implique directement notre interprofession et les opérateurs de notre filière, de la semence jusqu’aux entreprises de nutrition animale. Ces structures nous ont demandé de travailler sur ces sujets car de nombreux points de ce règlement méritent des éclaircissements et vont compliquer l’activité économique de la profession.
R.A. : Quels sont les points les plus compliqués ?
F. L. : Le délai est très court entre le moment d’entrée en vigueur du règlement, le 29 juin 2023, et son entrée en application au 30 décembre 2024. Le soja qui sera en circulation au 31 décembre 2024 aura été semé avant, dès ce printemps. Les agriculteurs et les organismes stockeurs vont devoir se demander comment ils vont faire en pratique pour répondre à ces règles dans un délai aussi court. Or, nous n’avons pas de réponse.
Le règlement comprend deux paquets majeurs : les produits ne peuvent pas venir de terres où ont été observées de la déforestation ou de la dégradation de forêts après le 30 décembre 2020. Tous les produits qui circulent devront être référencés avec les parcelles de culture d’origine géolocalisées, qui seront mis en parallèle avec la géolocalisation de la dégradation des forêts. Par ailleurs, le soja doit avoir été cultivé dans des conditions répondant à l’ensemble de la législation en vigueur dans le pays de production : protection de l’environnement, foncier agricole, droit de l’homme, droit du travail, respect de la fiscalité, lutte contre la corruption, etc. Nous voyons la difficulté pour les acheteurs et les producteurs de s’assurer de cela dans le cadre de ce qui est désigné dans le règlement comme relevant de leur diligence raisonnée.
Par ailleurs, le texte prévoit d’attribuer aux zones géographiques de production trois niveaux de risques, où les contrôles seront plus ou moins forts : faible, standard et élevé. Mais la Commission européenne n’a pas encore publié le zonage. Dans cette attente, elle a indiqué que tous les pays seraient considérés en « zone standard ». Or, en France, nous devrions être en faible risque, ce qui allègerait considérablement la procédure. Par ailleurs, les règles des contrôles ne sont pas connues. Nous savons que les contrôles seront du ressort des ministères de la Transition Ecologique et de celui de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire jusqu’en 2025.
Autre point : toutes les informations doivent être téléchargées sur une plateforme. Or, cette plateforme, qui existe déjà dans une première version, ne supporte pas encore la quantité d’informations requises par le règlement. Imaginez le nombre de géolocalisation que vous devez rentrer quand un bateau de soja arrive !
R.A. : Comment les opérateurs réagissent-ils ?
F.L. : Ils sont très inquiets sur la manière de devoir appliquer le texte. Le marché a du mal à s’engager au-delà du 31 décembre 2024 sur les produits concernés par le règlement. Ce qui va poser des problèmes économiques. Ce règlement met en danger l’approvisionnement des filières, en particulier des fabricants d’aliments français et européens. Le risque est aussi de voir une diminution des surfaces de soja alors que le Gouvernement promeut les légumineuses dans le cadre de la stratégie nationale en faveur des protéines végétales dans laquelle Terres Univia et ses opérateurs économiques sont fortement engagés. Beaucoup connaissent encore peu le règlement. Nous sommes en train de porter ce texte à la connaissance des acteurs avec pédagogie. Pourtant, en France, nous sommes en avance par rapport à d’autres pays européen : un grand nombre d’entreprises de nutrition animale ont lancé un manifeste s’engageant à limiter leur impact sur la déforestation importée en 2022 et 60 % de leurs approvisionnements sont déjà en soja non déforestant.
R.A. : Comment travaillez-vous avec les autorités ?
F.L. : L’interprofession, accompagnée de ses principales organisations professionnelles concernées, dialogue régulièrement avec les autorités compétentes françaises pour partager les difficultés de compréhension du texte, leur proposer des modalités les plus simples possibles d’applications et leur demander de nous aider à trouver des solutions. Nous regardons par exemple ce qui pourrait être mobilisé notamment dans le cadre des contrôles liés à la Pac. Nous demandons une véritable période de transition sans courir de sanctions. Nous avons besoin d’un temps supplémentaire pour que le système se mette au point et que nous ayons un retour des autorités sur nos interrogations. Les amendes en cas de non-conformité au règlement peuvent aller jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires de l’opérateur sur l’ensemble des activités. C’est important ! Les dialogues sont bons. Mais le temps est compté car le soja se sème bientôt. Les opérateurs ont besoin de s’organiser au plus vite.