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Engrais, une situation attentiste, moins préoccupante qu’il y a un an

Le | Cooperatives-negoces

Avec la baisse progressive des prix des engrais depuis le début de l’année, et la chute des cours des céréales, les agriculteurs ne souhaitent pas s’engager trop tôt, et parient sur une nouvelle diminution du tarif des fertilisants. Les distributeurs eux-mêmes diffèrent leurs achats pour éviter d’avoir à revendre moins cher. Devant ce statu quo, des embouteillages et des difficultés logistiques sont à craindre.

Engrais, une situation attentiste, moins préoccupante qu’il y a un an
Engrais, une situation attentiste, moins préoccupante qu’il y a un an

« Le marché se comporte de façon extrêmement calme depuis le 1er janvier, confie Pascal Ramondenc, directeur de la centrale d’achats en fertilisants Axso. Nous pensions que pour la fin de la campagne 2022/2023, le ré-appro allait repartir en février, mais il n’a jamais vraiment redémarré. » Plusieurs facteurs expliquent cette extrême lenteur du marché, constatée partout en France : le prix des engrais a fortement baissé depuis le début de l’année, atteignant les niveaux d’avant la guerre en Ukraine ; la sécheresse de l’hiver a décalé les premiers apports, parfois de plusieurs semaines.

La sécheresse incite à semer des cultures économes en eau et en engrais

Quant à la prochaine campagne, elle devrait être baissière pour les engrais. « Dans notre zone Sud, nous assistons à un fort recul des surfaces de maïs, pointe Pascal Ramondenc. Certains agriculteurs ne sèment plus, car les rivières, les lacs et les nappes phréatiques sont vides : ils savent qu’ils ne pourront pas aller jusqu’à la récolte. » Les cultivateurs s’engagent dans des cultures moins consommatrices en eau et en engrais. « La campagne va réellement débuter au mois de mai ou juin, mais je ne m’attends pas à une forte dynamique » estime le directeur d’Axso.

Même constat attentiste dans le Nord du pays, où malgré des premières positions début février, les achats ont marqué un coup d’arrêt. « Nous avons fait environ 25 % de la campagne 2023/24 en solution azotée, qui représente 20 % de notre activité engrais en tonnage, indique Frédéric Croutte, chef de marché fertilisation pour l’union d’appro Clef. Mais désormais, les agriculteurs sont dans l’attente d’une nouvelle baisse. »

Des prix des engrais au niveau de l’été 2021

Au-delà de la météo, ce sont bien les cours des engrais et des autres matières premières, qui font patienter agriculteurs et distributeurs. Entre février et mars, la solution azotée a perdu 130 €/t. À l’automne 2022, par crainte de manquer de fertilisants, l’immense majorité des coopératives et négoces a fait des achats, quel qu’en était le prix. Le marché s’est détendu en fin d’année, et les OS se retrouvent avec des pertes financières. « C’est une situation frustrante, reconnaît Paco Galloppe, responsable achat engrais pour Dijon Céréales. Heureusement, nous travaillons à prix construit avec nos adhérents, ce qui permet de limiter les à-coups du marché et sa volatilité ».

Mais face à la chute du prix des céréales, et à l’augmentation des autres charges (énergie, phytos, semences), nombre de producteurs, coopératives et négoces comptent désormais sur une nouvelle baisse des tarifs des fertilisants pour se positionner. Si, comme chaque année, les offres de solution azotée ont été les premières à être connues, les producteurs d’urée ont également révélé leurs offres. Une offre d’ammonitrates a été émise par un producteur, mais elle n’était pas compétitive. À ce jour, l’urée et la solution azotée ont atteint leur niveau le plus bas depuis l’été 2021. « Les engrais ne respectent pas les lois du marché habituel, estime Marion Dubas, responsable approvisionnement de la Coopérative agricole Lorraine, Cal. Normalement, plus le marché approche de l’utilisation, plus il prend de la valeur. Cette année, c’est l’inverse. »

Chez Dijon Céréales, « les niveaux de prix bas ont incité une partie de nos adhérents à faire leurs achats dès maintenant, à hauteur de 20 ou 25 % de leurs besoins », pointe Paco Galloppe. Une stratégie validée par la coopérative.

Le transfert de l’ammonitrate vers l’urée va-t-il se poursuivre ?

La prochaine campagne comporte son lot d’incertitudes. Notamment la part d’urée qui sera utilisée par les agriculteurs. « L’année dernière, un transfert très net s’est opéré entre les ammonitrates, dont les coûts étaient prohibitifs, et l’urée, qui demeurait l’unité d’azote la moins chère, explique Marion Dubas. Ce sont les cours des engrais qui nous diront, demain, si cette tendance va continuer. » Ce transfert a été constaté dans toutes les régions de France. Dijon Céréales a doublé ses achats d’urée, tandis que Céréapro les a multipliés par quatre. Mais difficile de savoir si la tendance va se maintenir.

Certes, la réglementation sur le stockage des ammonitrates 33,5 pèse sur cette forme d’engrais, mais ce n’est que cet été que les agriculteurs verront si l’urée a été aussi efficace que les ammonitrates. « L’épandage de l’urée est moins pratique, explique Frédéric Croutte, en particulier ces derniers temps, où il y a eu beaucoup de vent. » En effet, si la bille d’ammonitrate fait entre 2,5 et 4,5 mm, celle d’urée ne dépasse pas 2 mm de diamètre, la rendant plus volatile. « Les unités sont également moins efficientes et plus volatiles que l’ammonitrate » poursuit-il.

La logistique : le nerf de la guerre

Autre inconnue : la logistique. Va-t-elle être en mesure de suivre ? « L’année dernière, la logistique de l’urée était lourde : comme les flux arrivant à La Palice étaient plus importants que d’habitude, l’ensachage a pris du retard » explique Pierre-Antoine Foreau, directeur de Céréapro. D’autant que des grèves, dans les ports, ont récemment ralenti les opérations de livraison. À trop attendre, agriculteurs et distributeurs prennent le risque de manquer leurs apports, en raison des délais d’ensachage et de livraison.

Le statu quo pourrait également s’avérer risqué, si les cours des marchés venaient à remonter, une situation envisageable , selon Pierre-Antoine Foreau.« Nous avons constaté un arrêt dans la baisse des prix, une sorte de point de résistance : le marché ne baisse plus. Or, il n’a pas l’habitude de stagner, et pourrait remonter ». Dans ce cas, la logistique des fabricants sera-t-elle suffisante pour répondre à aux nombreuses commandes simultanées ?