Référence agro

Farm to fork, les entreprises du commerce des grains craignent « un choc » pour leur secteur

Le | Cooperatives-negoces

Alors que de nombreuses études laissent entrevoir des perspectives mitigées pour le secteur agricole, suite à la mise en œuvre de la stratégie Farm to fork, les entreprises du commerce des grains se sont exprimés sur le sujet, le 26 octobre. L’occasion pour eux de présenter une étude réalisée par leurs soins, et de rappeler leurs inquiétudes.

« Le monde du commerce des grains ne s’exprime pas souvent, mais il était temps que nous apportions  - © D.R.
« Le monde du commerce des grains ne s’exprime pas souvent, mais il était temps que nous apportions - © D.R.

« Si nous prenons aujourd’hui la parole, c’est pour exprimer nos inquiétudes sur les conséquences de la stratégie Farm to Fork », annonce Antoine Pissier, président de la Fédération du négoce agricole, FNA, en ouverture d’une conférence organisée par la structure, avec le Synacomex*, le 26 octobre, au sujet des impacts de cette feuille de route européenne sur les entreprises du commerce des grains. « Nous sommes d’accord pour agir en faveur du climat, mais l’accélération de la transformation de l’agriculture, avec des objectifs drastiques, risque de créer un choc, poursuit-il. Le développement ne sera durable que si la performance économique est aussi prise en compte. »

Des baisses de production entre 13 et 27 % selon les cultures

Pour appuyer leurs propos, les représentants de la FNA se sont associés à Coceral, l’association européenne représentant notamment le commerce des céréales, graines oléagineuses et des huiles, pour réaliser une étude. Cette dernière, finalisée en mai, avait pour l’heure surtout été diffusée en interne. Ses résultats ont été détaillés à l’occasion de cet événement. Trois scénarios ont été envisagés, en fonction de l’intensité de l’impact (faible, moyen, haut). Ils ont pour référence les perspectives affichées par la Commission européenne pour 2030. L’hypothèse moyenne, considérée comme plus probable, a été plus largement commentée. Selon elle, la production de blé pourrait chuter de 15 %, celle de maïs de 13 %, celle d’orge de 16 %, celle des oléprotéagineux de 17 %. Le colza serait la culture la plus durement touchée, avec des baisses moyennes envisagées de 27 %. « L’étude du JRC a des limites mais elle arrive à peu près aux mêmes hypothèses que nous, avec des baisses d’environ 15 %, souligne Philippe Mitko, le président de Coceral. Nous ne pouvons pas faire fi de toutes ces études qui convergent. »

D’exportatrice, l’UE deviendrait importatrice

En ce qui concerne les échanges nets, l’étude de Coceral prévoit une baisse de 36 Mt, par rapport aux prévisions de la Commission européenne. Concrètement, les exportations prévues à hauteur de 17,6 Mt seraient substituées par des besoins d’importations à hauteur de 18,4 Mt. « Nous deviendrions importateurs nets de céréales », regrette Philippe Mitko. Une perspective qui « déprime » le directeur général de Soufflet Négoce, Jean-François Lépy. « Des conséquences dramatiques sont à venir, assure-t-il. Les importations chinoises, en 2020, ont atteint 50 Mt de grain, ce qui a bouleversé les bilans mondiaux. L’étude parle de plus de 35 Mt à importer à l’avenir dans l’UE. Si les capacités des acteurs qui peuvent exporter sont réduites, cela va causer de vrais déséquilibres. »

Une demande qui va augmenter

Pour compenser ces pertes, la Commission européenne mise sur les changements de régimes alimentaires, la réduction du gaspillage et les nouvelles technologies. Des perspectives qui ne convainquent pas Philippe Mitko. « Ces évolutions seront lentes, nous allons avoir un problème de timing pour assurer cette équation. Ces changements prendront une génération, ce n’est pas possible de les opérer en dix ans. » Le président de Cocéral alerte également sur l’augmentation de la demande à venir, un sujet trop peu présent dans les discussions actuelles, selon lui.

La filière réclame une étude d’impact

Le document réalisé par Coceral n’est néanmoins pas une vraie étude d’impact, précise Philippe Mitko, en raison notamment des incertitudes liées au niveau d’ambition des Plans stratégiques nationaux qui seront, contrairement aux stratégies du Green Deal, contraignants. L’évolution des modes de consommation ou le recours à de nouvelles technologies comme les NBT font également partie des inconnues n’ayant pu être prises en compte. Dans ce cadre, la filière du commerce des grains attend de pied ferme l’étude d’impact de la Commission européenne. « Nous avons besoin de données sûres pour faire des choix stratégiques au sein de nos entreprises », plaide Antoine Pissier. Selon le commissaire européen à l’agriculture, celle-ci ne devrait néanmoins pas être engagée avant la remise des plans stratégiques nationaux, prévue pour la fin de l’année. « Il n’est pas question de nier les enjeux climatiques actuels et la nécessité d’augmenter la durabilité des systèmes agricoles, conclut Philippe Mitko. Ce que nous discutons, c’est le chemin pour y parvenir. »

 

*le Syndicat national du commerce extérieur des céréales et oléo-protéagineux