Jean-François Naudi, Arterris, « La déprise agricole a un impact sur tout le territoire rural »
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Face à la déprise agricole qui sévit dans le sud de la France, Arterris a pris la décision de réorienter ses terres céréalières sur d’autres cultures qui apportent plus de valeur ajoutée. Jean-François Naudi, président d’Arterris, a répondu aux questions de Référence agro.
Référence agro : Quelle est la situation de la déprise agricole, concernant Arterris ?
Jean-François Naudi : D’après les chiffres de FranceAgriMer, pour la région Occitanie, nous avons perdu 110 000 ha de céréales et oléoprotéagineux entre 2010 et 2020. En région sud, la perte est estimée à 70 000 ha. Nous collections auparavant environ 1,2 Mt, et ces dernières années, nous sommes plutôt situés autour de 800 000 t, soit, structurellement, une perte de 300 à 400 000 t sur les dix dernières années. Et cela, lorsqu’il n’y a pas d’incident climatique : conjoncturellement, si le climat est limitant, nous pouvons tomber à 650 000 t.
À quoi cette déprise est due, et quels en sont les impacts ?
Cette déprise, qui prend de l’ampleur, est alimentée par plusieurs facteurs : les moyens de production en perte de vitesse, la hausse des charges, les contraintes sociales et environnementales, mais aussi les aides Pac, qui rémunèrent des hectares et pas forcément des productions. Des terres sont basculées en jachères ou en prairies non productives. Elles correspondent aux prairies bio, et rémunèrent l’agriculteur grâce aux aides Pac, mais ce dernier ne produit plus de cultures. Cette stratégie ne permet pas de faire fonctionner les outils de transformation, de commercialisation, d’assurer de l’emploi localement et de fournir les artisans locaux. C’est tout le territoire rural qui en souffre.
Quelles sont les cultures les plus touchées ?
Le blé dur est, de loin, la culture la plus concernée par la déprise, avec une perte de 90 000 ha, alors même que nous disposons d’un contrat de filière avec Panzani. Outre le problème de la sécheresse et de la chaleur, nous faisons face à la perte de moyens de production, avec de moins en moins de solutions pour traiter les maladies. En 2020, les producteurs de blé dur ont eu de gros problèmes de fusariose, ce qui en a convaincu certains de se détourner de cette culture. Enfin, le blé dur nécessite de forts taux de protéines pour être transformé en pâtes. Les protéines, c’est de l’azote, et ce sujet aussi nous contraint. Nous travaillons, en ce moment, avec Panzani, sur le cahier des charges du blé dur durable, pour aller capter de la valeur auprès du consommateur. Mais cela reste difficile.
Quelle est la situation des autres céréales sur la région ?
Le blé tendre a légèrement augmenté : 15 à 20 % du blé dur qui a été perdu a été transformé en blé tendre. Cette année, le tournesol prend plus de place : il y a de la demande, il est moins gourmand en eau et en azote que le soja, par exemple. Mais le colza est en perte de vitesse, à cause de la disparition des molécules et de grosses attaques de méligèthes. Dans l’ensemble, il n’y a pas une culture qui a repris fortement pour compenser les pertes.
Quelle est la stratégie d’Arterris pour faire face ?
Nous investissons sur la diversification : sur les semences, par exemple, nous avons investi 18 M€ en 2022, dont 14 M€ pour une usine dernier cri, pour traiter les espèces avec un enrobage de biostimulants. Nous développons un vignoble innovant expérimental, pour un budget d’un million d’euros environ, qui met en œuvre de nouvelles pratiques viticoles. D’une surface de 35 ha, sur des terres qui nous appartiennent, il permet de mener des études sur les pratiques d’enherbement, d’analyse du sol, d’irrigation… Nous créons aussi une filière légumes, avec un petit noyau de producteurs de Castelnaudary, autour des asperges, des carottes, des légumes pour les grandes et moyennes surfaces. Bien sûr, nous en sommes encore à l’état embryonnaire, cette filière rassemble une dizaine de producteurs, mais elle est en croissance. Nous sommes aussi entrés au capital de la compagnie des amandes, et avons planté un verger de 150 ha, car en France, nous avons un déficit d’amandes, que nous importons à plus de 90 %.
Nous avons de belles réussites : en 2018, nous avons racheté La belle Chaurienne, une marque de cassoulet. À l’époque, tous les haricots arrivaient d’Argentine, et en trois ans, en revisitant un peu la recette, en travaillant le marketing et la relation avec les GMS, nous avons relocalisé l’intégralité de la production de haricots en France et il s’agit principalement du haricot de Castelnaudary, une IGP. Notre stratégie, c’est zéro export. Nous avons une capacité à produire pour les populations locales. Nous avons de grandes villes, Montpellier, Marseille, Perpignan, Narbonne, et beaucoup de vacanciers. Nous estimons que notre rôle est de fournir ces populations.
Comment vos adhérents céréaliers s’adaptent à ce changement de cultures ?
C’est là toute la difficulté : cela demande des compétences, une réorientation stratégique de l’exploitation, et des investissements matériels. La moyenne d’âge des agriculteurs dépasse les 50 ans, et il est parfois difficile pour eux d’envisager les choses différemment en fin de carrière. Mais nous avons des jeunes qui s’installent et qui veulent participer à cette solution. Nous faisons face à un autre problème : le matériel agricole a fortement augmenté ces dernières années, et il y a des questions à se poser sur la stratégie matériel dans les exploitations. C’est un travail qui va devoir être mené, pas seulement par Arterris, mais en général, par les coopératives, les Cuma, les réseaux d’entrepreneurs, pour proposer des services, avec des matériels dernier cri, aux exploitations familiales qui n’ont pas les moyens d’investir elles-mêmes.
Nous avons aussi d’autres produits en tête, qu’il est un peu tôt pour révéler. Et nous réfléchissons à l’énergie, qui fera, demain, partie du modèle agricole. Pourquoi ne pas alimenter des outils de production énergétique vertueux, avec une production locale comme le miscanthus, par exemple. Ce qui est certain, c’est que même si nous essayons de réorienter les assolements, il nous faudra tout de même continuer à produire du blé dur, tendre, du colza, du tournesol, pour que nos outils de production continuent à fonctionner.