Anticipation des retraits de molécules, les filières dubitatives suite aux premiers travaux
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Sollicitées par le Gouvernement pour travailler sur l’anticipation du retrait de molécules phytosanitaires et éviter de futures impasses techniques, les filières se mobilisent. Mais si ces dernières saluent le dialogue engagé, elles restent dubitatives : le délai pour trouver des alternatives s’avère court.
Comme prévu lors du lancement, le 2 mai 2023, du « chantier de planification écologique sur les produits phytopharmaceutiques, traitant de l’anticipation du retrait de substances actives et du développement de solutions alternatives pour la protection des cultures », le travail par filière a démarré. Des task forces ont été mises en place, pour représenter les grandes cultures (céréales, oléoprotéagineux, betterave à sucre, pomme de terre), les fruits et légumes, les plantes à parfum aromatiques et médicinales, la vigne, l’horticulture, les semences, les cultures ultra-marines et les cultures biologiques.
Chaque filière doit remonter, dans un premier temps, les problèmes qu’elles risquent de rencontrer à court et long terme. Puis, comme expliqué par le ministère chargé de l’Agriculture à Référence agro, un comité interfilière se réunira une à deux fois d’ici à l’été pour une prise de hauteur.
Un maintien de molécules considéré comme indispensable
Un retrait de 75 molécules d’ici à cinq ans a été mis en avant par le Gouvernement. Un participant à la task force grandes cultures indique à Référence agro que « si certaines des 75 molécules sont en effet sur la sellette, d’autres ne le sont pas réellement », et croit ainsi percevoir, dans cette anticipation lancée par le Gouvernement, un moyen de mettre en œuvre la réduction de 50 % des usages souhaitée par l’Union européenne.
« L’élément de dialogue est à saluer, souligne toutefois Jean-Philippe Garnot, vice-président d’AIBS, l’Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre. Mais trouver des alternatives exige du temps. Or sans alternatives efficaces et déployées, tout retrait de molécules conduira à des arrêts de production ! Le Gouvernement doit étudier les impacts sociaux de tous ces retraits. Nous sommes volontaires pour réduire l’usage des produits phytosanitaires, mais pas pour s’en extraire lorsque les alternatives ne se révèlent pas efficaces à 100 %, quelles que soient les conditions climatiques de l’année. »
Le vice-président d’AIBS rappelle à titre d’exemple que le remplacement des néonicotinoïdes est loin d’être gagné : « Chaque solution à combiner réduit le nombre de pucerons, mais il en suffit d’un seul pour voir la jaunisse gagner la parcelle. Et les solutions phytosanitaires restantes, tributaires des conditions climatiques, peuvent se montrer inefficaces certaines années. » Il ajoute que les alternatives avancées doivent être vérifiées sur le terrain. Car les alternatives aux néonicotinoïdes présentées un temps par l’Anses n’étaient pas efficaces.
La question du financement reste ouverte
« Les trois instituts, Arvalis, Terres Inovia et l’ITB, travaillent ensemble, poursuit Jean-Philippe Garnot. Mais la priorisation des travaux à mener n’est pas chose aisée. » L’inquiétude porte notamment sur les herbicides, dont 40 % pourraient disparaître à court terme, avec parmi eux le prosulfocarbe. « Arvalis a réussi à diviser par dix le nombre de graminées, mais si on part de 400 graminées/m², il en reste toujours 40 ! Et le désherbage mécanique, fort dépendant des conditions météo, n’est pas toujours envisageable ! », insiste Jean-Philippe Garnot.
Pour l’heure, les moyens financiers déployés par l’État pour faire face aux futures impasses n’ont pas du tout été abordés dans la task force grandes cultures. Le ministère chargé de l’Agriculture a fait savoir que toutes les molécules ne pourront pas faire l’objet de l’équivalent du PNRI, pour les néonicotinoïdes sur betterave, ou d’un Plan phosmet, pour le colza. La somme débloquée dans le cadre du plan de souveraineté pour les fruits et légumes laisse penser qu’une enveloppe sera bien proposée, mais les montants spécifiquement dédiés au dossier des impasses restent inconnus, alors que les acteurs des filières insistent sur leur besoin d’accompagnement financier.
Une anticipation jugée tardive
Du côté de la vigne, les inquiétudes sont moindres, mais non nulles. « Nous n’avons pas le couteau sous la gorge puisque la vigne ne présente pas d’usage orphelin, précise Éric Chantelot, expert Écophyto de l’Institut français de la vigne et du vin, IFV. Mais le Gouvernement doit nous laisser la possibilité d’utiliser le glyphosate sur les vignes non mécanisables, ainsi que sur toutes les surfaces si des molécules herbicides sont amenées à être retirées. Car le changement de pratiques est en cours mais demande du temps. Sur le long terme, nous devons également être assurés de conserver des pyréthrinoïdes pour lutter contre les cicadelles responsables de la flavescence dorée. » L’expert Écophyto de l’IFV recommande par ailleurs de travailler par usage et non par molécule.
Pour Éric Chantelot, les pouvoirs publics doivent prendre des décisions, comme accepter de prolonger l’approbation de certaines molécules, et accompagner les producteurs. « Ce travail d’anticipation aurait dû être mené il y a longtemps, note-t-il. Car si des molécules disparaissent d’ici à cinq ans, nous n’aurons pas le temps de trouver des alternatives. » Et de donner l’exemple du cuivre, dont les producteurs ont réduit l’usage mais dont ils ne savent pas encore se passer, malgré les travaux menés sur le sujet. Or la molécule est candidate à la substitution. Comme pour les autres filières, les viticulteurs sont prêts à réduire l’utilisation des produits, mais pas encore à s’en passer à court terme.
Propos recueillis par Gaëlle Gaudin et Éloi Pailloux