Crédits carbone, Julien Denormandie appelle à consommer français
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Alors qu’il s’apprête à porter le sujet au niveau européen dès la semaine prochaine, Julien Denormandie a réuni, le 31 janvier, entreprises, start-up, acteurs de la recherche et du syndicalisme agricole pour insister sur la nécessité de faire monter en puissance le marché français de crédits carbone. Le ministère souhaite donner l’exemple en compensant dès 2022 les émissions de son administration centrale.
Inciter le plus grand nombre à se tourner vers les crédits carbone agricoles français, pour permettre à la France d’atteindre la neutralité carbone en 2050, mais aussi valoriser économiquement les efforts des agriculteurs. C’était l’objet d’une table ronde, organisée le 31 janvier par le ministre de l’Agriculture, en présence de nombreux acteurs publics et privés. Ce dossier est l’une des priorités de la fin de mandat de Julien Denormandie, aussi bien au niveau national qu’européen, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.
« Mon souci est de lancer des dynamiques et d’atteindre des points de non-retour », assure le ministre, qui souhaite faire de la France un leader européen en matière de carbone agricole. « Aujourd’hui, il est possible d’acheter des crédits carbone agricoles français, c’est une réalité ! », lance-t-il. Mais la marche est encore haute. « Nous devons encore finaliser la constitution de l’offre (méthode, suivi, confiance des acteurs) et de la demande, c’est-à-dire rendre les crédits français compétitifs », poursuit le ministre. En pleine expansion, le marché de la compensation volontaire carbone n’en est encore qu’à ses balbutiements en Europe, qui n’émet actuellement que 1,5 % des crédits mondiaux. L’agriculture, elle, ne représente que 0,1 % du total.
Les entreprises veulent mieux évaluer l’impact du bas carbone
Sur le terrain, le sujet fait indéniablement son chemin. En témoigne la validation de méthodes labellisées bas carbone, mais aussi la mise en place de démarches alternatives telles que celles portées par Soil Capital ou CarbonExtract. « Il y a une professionnalisation manifeste des projets de labellisation, la structuration de la filière carbone est nécessaire et attendue », souligne Eric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts. Le défi principal reste, sans surprise, la mobilisation des financeurs. « Il y un grand enjeu autour de la transparence, les entreprises ont besoin d’outils pour mesurer l’impact réel des projets qu’ils soutiennent », explique Mathieu Toulemonde, fondateur de l’entreprise Terraterre, qui met en relation des entreprises avec des agriculteurs engagés dans une agriculture bas carbone.
Un point de vue partagé par Hélène Valade, directrice développement environnement chez LVMH. « Nous souhaitons travailler sur la normalisation d’indicateurs, pour mieux évaluer l’impact de l’agriculture régénératrice. La compensation est parfois vue comme une gros mot, mais cela peut être un vrai complément à la réduction des émissions. » Le ministre de l’Agriculture est conscient des efforts encore à déployer. « Sur le papier, les réactions des entreprises sont enthousiastes, mais une fois le prix annoncé, cela devient plus compliqué, explique-t-il, en faisant référence à la différence de valeur de la tonne carbone en France (environ 35 €) et en Amérique du Sud (environ 8 €). Faire le choix du crédit carbone français nécessite d’avoir une approche proactive et pas seulement comptable. »
Le ministère veut donner l’exemple
La table ronde a été le théâtre de plusieurs annonces. Afin de « montrer l’exemple », le ministre de l’Agriculture a ainsi indiqué que les émissions de l’administration centrale du ministère, soit environ 7000 tonnes, seraient compensées dès 2022 via l’acquisition de crédits carbone. Une initiative qu’il souhaite par la suite étendre aux administrations décentralisées et à l’enseignement agricole. Pour sa part, le Crédit Agricole a déclaré se porter acquéreur de 25 000 tonnes de crédits carbone, pour inciter d’autres structures à l’imiter. C’est d’ores et déjà chose faite pour Action Logement, qui souhaite compenser la totalité des émissions de ses sièges situés en France. « Nous allons demander à nos filiales de se rapprocher de vous dès les semaines et mois à venir », a assuré Bruno Arcadipane, président du groupe. Quant à la Caisse des dépôts, elle devrait publier prochainement un appel à manifestations d’intérêt pour compenser 20 000 tonnes eq CO2. « Nous allons publier dans quelques jours un accord cadre pour la fourniture de projets de réduction d’émissions, je compte sur la filière pour s’engager », indique Eric Lombard.
Actuellement, 11 méthodes « label bas carbone » ont été validées, dont six agricoles, et une vingtaine d’autres sont en cours de rédaction.
27 recommandations pour accélérer l’atténuation en agriculture
« La transition agroécologique n’embarque pas assez le carbone dans les cahiers des charges des différentes démarches », constate Elise Bourmeau, directrice conseil de l’entreprise Greenflex, qui remettait ce jour une étude à Julien Denormandie, intitulée « Comment accélérer les efforts d’atténuation du dérèglement climatique en agriculture ». 80 dispositifs ont été analysés, dont 12 intégrant le carbone. Pour expliquer cette faible implication actuelle, l’étude met en cause un déficit d’informations, un manque de cadres réglementaires incitatifs, des approches transversales insuffisantes ou encore la difficulté à trouver des modèles économiques viables. Pour faire évoluer les choses, le document formule 27 recommandations, articulées autour de deux grands axes : changer en profondeur les systèmes de production, et décloisonner les filières. « Nous avons trente ans, à grosses mailles, pour réinventer l’agriculture, la rendre plus durable, tout en maintenant l’activité économique dans les exploitations », réagit Benoît Leguet, directeur général d’I4CE, qui animait la table ronde.