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Écophyto 2030, professionnels et associations restent dans l’incertitude

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Alors qu’une présentation du nouveau plan Écophyto était attendue en octobre, professionnels et associations font état d’un certain flou quant à son contenu. Objectifs, moyens, calendrier : les acteurs interrogés par Référence Agro déplorent le manque de concertation, qui les empêchent de partager leurs nombreuses propositions.

Écophyto 2030, professionnels et associations restent dans l’incertitude
Écophyto 2030, professionnels et associations restent dans l’incertitude

Élisabeth Borne l’avait promis fin septembre en présentant les travaux du Conseil National de la Refondation : un nouveau plan Écophyto 2030 serait présenté en octobre. Mais depuis ces annonces, et malgré un cycle de consultation mené entre mai et juillet dernier avec les professionnels, l’ensemble des acteurs restent dans le flou. « Nous n’avons aucune information  », regrette Éric Thirouin, président de l’AGPB et vice-président d’Intercéréales. « Nous sommes inquiets, nous ne savons pas ce qu’il adviendra des financements derrière les actions », complète Philippe Noyau, référent sur le sujet pour les chambres d’agriculture. Le calendrier n’a pas été confirmé, mais des pistes pourraient être présentées lors d’un comité Écophyto fin octobre, pour une publication du plan en fin d’année.

Alors que le plan Écophyto 2+ arrivera à échéance au printemps prochain, cette refonte est en tout cas très attendue. Un rapport de la Cour de comptes en 2019, suivi par un deuxième rapport des inspections des finances et de l’agriculture en 2021 avaient abouti aux mêmes constats. Avec près de 643 M€ d’aides dédiées à Écophyto en 2020, dont 320 M€ d’aides à l’agriculture biologique, « la France n’a pas atteint son objectif chiffré ». L’indicateur choisi comme référence, le Nodu, a ainsi augmenté de près de 30 % sur les herbicides et de 25 % sur les fongicides depuis 2009, au lieu de baisser de 50 %. En résumé, pour les inspecteurs, les principaux objectifs et actions du plan n’ont, jusqu’à présent, « pas été évalués ni fait suffisamment la preuve de leur efficacité  ».

Des mauvais signaux politiques

Pour sortir des impasses, Élisabeth Borne avait esquissé une nouvelle méthode au Salon de l’agriculture 2023. Dans une logique de planification, la première ministre avait proposé d’établir une liste de molécules susceptibles d’être prochainement interdites, afin de mieux accompagner les agriculteurs dans ces transitions. Les filières agricoles ont même été reçues à plusieurs reprises par le secrétariat à la planification écologique. « Nous avons posé beaucoup de questions sur la méthode, le choix des molécules, la manière dont on allait identifier des alternatives, et sur les budgets », se souvient Éric Thirouin. Devant l’absence de réponse, les céréaliers ont même claqué la porte en juillet, avant renouer le contact en septembre.

Alors que Matignon avait promis d’apporter des éléments en ce mois d’octobre, le départ de Patricia Blanc, en charge du dossier au sein du secrétariat à la planification écologique, est un mauvais signal supplémentaire. Les dicussions, entre cette dernière et le secteur, ne semblent pas pour l’heure avoir eu d’effet sur l’élaboration du futur plan. « Nous n’avons pas besoin d’effet d’annonce. Ce qu’il nous faut, c’est un cap clair à cinq ans », défend Christophe Grison, membre du conseil d’administration de La Coopération agricole, également président de Valfrance.

Autre mauvais signal, la hausse de 20 % de la redevance pour pollution diffuse prévue dans le projet de loi de finance.

Un nouveau budget de 250 M€

Le flou s’insinue jusque dans l’ambition du plan. « On ne sait même pas si l’objectif de réduction de 50 % sera reconduit », déplore François Veillerette, porte-parole de l’association Générations Futures. Alors que cette cible se fondait sur l’évolution du Nodu, correspondant au nombre moyen de traitements par hectare, industriels et agriculteurs seraient favorables à changer d’indicateur. « Les quantités achetées sont passées de 120 000 à 60 000 tonnes : le travail a été fait », défend Christophe Grison. Phyteis estime de son côté que l’IFT ou l’indicateur européen HR1 serait « plus pertinent » que le Nodu. Or cet indicateur, combinant quantités vendues et facteur de risque, « met des produits conventionnels et des substances utilisées en agriculture biologique au même niveau de toxicité », s’étrangle François Veillerette.

Le document présentant le budget du ministère de l’agriculture dans le cadre du projet de loi 2024 présente un seul élément tangible. Une nouvelle enveloppe de 250 M€ d’engagements sera accordée l’année prochaine au nom de la planification écologique pour mettre en œuvre « une stratégie de réduction des produits phytosanitaires et de développement des alternatives ». « En nous basant sur la filière betteravière, nous avons calculé qu’il faudra plus de 20 milliards d’euros pour accélérer la transition dans toutes les filières céréalières », rappelle toutefois Éric Thirouin.

Les acteurs agricoles défendent la stabilité

Pour les professionnels, le financement devra a minima permettre de maintenir les outils qui ont fait leur preuve. «  Nous souhaitons que le bulletin de santé végétale (BSV) soit maintenu : il est attendu par tous, et il fonctionne », défend Philippe Noyau, pour les chambres. Pour Jean-Paul Bordes, directeur général de l’Acta, la prochaine mouture devra aussi confirmer les financements accordés aux dispositifs Dephy Ferme et Dephy Expé. « Ce sont des volontaires, très encadrés et triés sur le volet, chez qui nous avons obtenu des baisses de 25 % des traitements en grandes cultures », rappelle-t-il.

Pour l’heure, les techniques adoptées par ces pionniers ont du mal à se diffuser chez leurs voisins. « L’ambition serait d’avoir un véritable changement d’échelle », espère Jean-Paul Bordes. Afin de susciter plus d’adhésion chez les agriculteurs, il propose d’ailleurs également une mesure de simplification des financements. « Le ministre semblait en avoir envie : rassembler les financements du Casdar, de l’Ademe, des agences de l’eau et d’Écophyto dans un seul guichet permettrait de mieux concentrer les efforts », souligne-t-il.

Le biocontrôle attend un nouveau coup de pouce

Les précédentes moutures d’Écophyto ont aussi permis de faire avancer certaines techniques alternatives. Avec 439 macro-organismes autorisés fin 2022, 735 produits de biocontrôle sur le marché hors macroorganismes, et 55 % des usages couverts par ces derniers,  la stratégie biocontrôle rattachée à Écophyto semble par exemple sur la bonne voie. « Toutefois, les délais d’approbation des substances actives de biocontrôle sont particulièrement longs », souligne Denis Longevialle, directeur général d’IBMAFrance. La question de la facilitation de l’innovation anime également Phyteis. L’association affirme que 38 % des problématiques rencontrées par les agriculteurs français ne trouvent pas de solutions qui milite pour un « pas d’interdiction sans solution alternative disponible ». Phyteis fait ainsi savoir qu’Écophyto 2030 doit aussi permettre de créer des conditions favorables à l’arrivée rapide sur le marché, selon des procédures adaptées, « de solutions nouvelles, complémentaires ».

Du côté des échecs, en revanche, la séparation entre la vente et le conseil prévue par la loi Égalim ne semble pas avoir porté ses fruits. « Depuis deux ans, nous constatons que le conseil spécifique s’est raréfié dans les fermes  », regrette Denis Longevialle. « À cause de la séparation vente-conseil, le technicien qui m’avait conseillé d’essayer les trichogrammes ne peut plus venir dans ma ferme », illustre Christophe Grison. Pour résoudre ce problème dans la future mouture Écophyto, Denis Longevialle propose « un assouplissement réglementaire, tout en prévoyant que chaque produit de biocontrôle bénéficie d’une action CEPP avec son autorisation de mise sur le marché ».

Les propositions de rupture des ONG

Pour Générations Futures, « il n’y a pas de raison que les vieilles recettes d’hier se mettent à fonctionner ». Autrement dit, le nouveau plan Écophyto devrait être l’occasion d’imaginer de nouveaux outils. François Veillerette suggère par exemple des objectifs détaillés par culture et par région, ainsi qu’un système de bonus-malus qui permettrait à la fois de récompenser les agriculteurs faisant des efforts, et pénaliser les autres. Une mesure qui pourrait passer, selon lui, par une hausse encore plus importante de la redevance pour pollutions diffuses : « L’augmentation de 20 % est pour nous un point de départ : seul un doublement du prix des pesticides serait véritablement dissuasif. »

À la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH), le directeur des programmes, Thomas Uthamayakumar, propose également de mettre à nouveau en place les sanctions en cas de non-respect du volume d’action de CEPP. « La suppression des sanctions financières par ordonnance a rendu le plan Écophyto beaucoup moins contraignant », regrette-t-il. D’autres mesures, poursuit-il, pourraient renforcer l’efficacité du plan comme l’implication des coopératives et de l’aval, ainsi que la formation des étudiants des filières agricoles sur ces sujets. « Il faut aussi financer davantage la bio si on veut atteindre les 18 % de surface certifiée », insiste Thomas Uthamayakumar.

Si la plupart des acteurs s’accordent sur les besoins de moyens renforcés pour la recherche et développement, la trajectoire méritera là aussi d’être précisée. « Nous avons encore besoin de beaucoup d’innovation pour attirer les agriculteurs dans la transition », reconnaît Jean-Paul Bordes à l’Acta. Numérique, génétique, robotique : « Il y a peut-être une nouvelle question : comment ces innovations vont se comporter dans un contexte de changement climatique ? », souligne-t-il. « Il n’est plus possible de substituer un produit par un autre, il faut aller vers une refonte des systèmes de culture, avec plus de variétés et de diversité », encourage de son côté Thomas Uthamayakumar. François Veillerette se montre, lui, plus prudent : « L’amélioration technologique ne peut pas faire de mal, mais ce n’est pas ce qui conduira à la réussite du plan. »