Cuivre et organismes du sol, « de nombreuses études restent à mener »
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Alors que les doses homologuées en Europe pour le cuivre sont de 4 kg/ha/an maximum, une étude scientifique parue dans Environmental Chemistry Letters a fait beaucoup parler. Publiée le 12 janvier, elle évalue que les premiers impacts du cuivre sur les organismes du sol se produisent avec des dosages supérieurs ou égaux à 200 kg/ha/an. Alors qu’un complément doit être publié d’ici à la fin juin, son auteure, la directrice scientifique du cabinet d’étude Novasol Experts, Battle Karimi, reprécise, pour Référence Agro, les conclusions de ce travail.
Référence Agro : Votre étude concernant les impacts du cuivre sur les organismes du sol est parue début janvier 2021. Pourquoi publier ce complément, quelques mois plus tard ?
Battle Karimi : Les enseignements de l’étude n’ont pas été interprétés correctement par tous. Nous avons eu des commentaires à charge sur les réseaux sociaux et dans la communauté scientifique, et des chercheurs de l’Université de Strasbourg ont réagi sur différents points. Ils estiment qu’en concluant à une absence d’effet du cuivre sur les organismes des sols à 4kg/ha, notre travail sous-entend qu’il n’est pas nécessaire de continuer à chercher des alternatives. Il nous semble important de resituer notre travail.
R.A. : Quels sont les messages que vous souhaitez préciser ?
B.K. : La littérature scientifique internationale, que nous avons étudiée, ne permet pas de conclure à des effets du cuivre sur les organismes du sol à court terme. Ce n’est pas pour autant qu’elle prouve sa totale innocuité. Nous ne considérons pas nos conclusions comme définitives, nous avons relevé des pistes de travail pour les affiner. Il nous paraît important de mener des études diversifiant les types de sols et les climats, d’intégrer la variable « sol déjà contaminé au cuivre ou non », de mieux caractériser les réponses des organismes du sol à court, moyen et long termes. Enfin, nous incitons les chercheurs à travailler dans des contextes plus réalistes, car beaucoup d’études abordent des dosages très supérieurs aux 4 kg/an/ha aujourd’hui autorisés.
R.A. : Comment expliquer ces « surdosages » ?
B.K. : Certaines expérimentations sont menées de manière plus « fondamentale » qu'« appliquée », et cherchent donc à établir à partir de quelle dose le cuivre commence à avoir un effet. Dans les faits, 80 % des doses que nous avons relevées dans notre corpus sont supérieures à 200 kg/ha/an, très au-dessus des 4 kg/ha/an actuellement autorisés, au maximum, et souvent appliquées en 10 à 15 apports ! Ces travaux aboutissent à une absence d’effet jusqu’à 200 kg de cuivre pour l’ensemble des groupes biologiques suivis : micro-organismes, nématodes, vers de terre, collemboles et acariens. D’où la déduction d’innocuité pour 4 kg/ha/an. Mais encore une fois, en l’absence d’études à long terme sur une diversité suffisante de sols, ce n’est pas une « absolution » du cuivre de notre part ! D’après nos résultats, l’utilisation actuel du cuivre nous laisse le temps de développer les meilleures alternatives, à la fois efficaces et à faible, voire sans impact environnemental, ce qui ne peut pas se faire dans l’urgence. Nous invitons à creuser ce sujet et à prendre le temps de faire mieux que les pratiques actuelles plutôt que de prendre le risque de faire pire à long terme.
R.A. : Un débat sur les doses de cuivres autorisées a eu lieu en Europe en 2018. Pensez-vous que votre travail pourrait éclairer de possibles décisions politiques ?
B.K. : En tout cas, c’est ce débat européen qui a conduit à notre travail, puisqu’un consortium d’une vingtaine de domaines viticoles français, bios et conventionnels, l’ont commandité suite aux conclusions de l’EFSA, qui à l’époque évoquait « un manque de documentation » quant aux impacts sur les organismes du sol. Nous avons cherché, dans la littérature internationale, uniquement les études présentant des garanties d’indépendance. Le sérieux de notre méthodologie est tout à fait vérifiable. Le corpus s’élève à 19 études, dont quatre portant sur la vigne, et quatre abordant la thématique de l’accumulation du cuivre dans le temps. D’où notre invitation à intensifier les recherches. Concernant la résonnance politique de notre étude, nous sommes en contact avec l’Association des régions européennes viticoles, qui défend le secteur au Parlement européen. Il est possible que nous organisions ensemble un webinaire destiné aux élus européens.