« Des progrès scientifiques fulgurants sur la diversité des sols », Philippe Lemanceau, Inrae
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Philippe Lemanceau dirige depuis 2012 l’UMR agroécologie à Dijon. Après une trentaine d’années au service de la recherche sur la biologie des sols, l’édition 2020 des Lauriers Inrae l’a récompensée pour l’ensemble de sa carrière. Il s’intéresse désormais aussi à l’alimentation durable. Comment passe-t-on des sols au « mieux manger » ? Réponse dans une interview pour Référence agro, où il retrace également les avancées de la science sur la diversité des sols.
L’édition 2020 des lauriers Inrae a distingué Philippe Lemanceau, directeur de l’UMR agroécologie à Dijon, dont il a participé à la création en 2012. Écologiste microbien, il a travaillé sur la biologie des sols et la relation entre plantes et micro-organismes. Ce prix, remis lors d’une cérémonie le 8 décembre, vient récompenser l’ensemble de sa carrière.
Référence Agro : Comment votre intérêt pour l’écologie microbienne des sols est-il né ?
Philippe Lemanceau : Au début de ma carrière, les micro-organismes présents dans les sols étaient encore peu connus. La seule manière de les examiner était de les cultiver dans des boites de Pétri. Nous ne pouvions étudier qu’une partie de l’immense biodiversité des sols. Au cours des trente dernières années, les recherches conduites en particulier à Dijon ont permis de réaliser des progrès méthodologiques majeurs pour l’étude des microorganismes du sol. Il est maintenant possible d’avoir accès à l’ensemble de la biodiversité microbienne en caractérisant le polymorphisme de l’ADN microbien
directement extrait du sol. Ces progrès permettent d’analyser la biodiversité des sols à de larges échelles spatiales et ainsi d’établir des référentiels pour construire un diagnostic de la qualité biologique des sols.
RA : Comment ces découvertes se sont-elles traduites dans vos travaux ?
P.L. : Il était nécessaire de prolonger ce diagnostic par des éléments d’aide à la décision, et de passer du diagnostic à l’action. Cela passe en particulier par une valorisation des interactions entre plantes et microorganismes. Nous avons ainsi montré que la plante recrute des populations microbiennes particulières du sol qui en retour sont favorables à la croissance et la santé de la plante-hôte. Nos recherches visent ainsi à découvrir les caractéristiques des végétaux et les traits microbiens impliqués dans cette boucle de rétroaction positive, afin de promouvoir la nutrition et la santé de la plante, tout en réduisant l’usage d’engrais et de pesticides de synthèse.
RA : Vous dirigez l’UMR Agroécologie au centre Inrae Bourgogne-Franche-Comté. Qu’étudiez-vous actuellement ?
P.L. : Notre UMR est riche de 350 collègues d’Inrae bien sûr mais également d’AgroSup Dijon et de l’Université de Bourgogne. Au-delà de la biodiversité des sols et des interactions plantes microorganismes, nos recherches portent sur la biodiversité ou sur les interactions et régulations biologiques à l’œuvre dans les agroécosystèmes afin de mieux les connaitre, les favoriser et les valoriser lors de la conception de systèmes agricoles durables et multiperformants. C’est-à-dire des systèmes économes en intrants et qui répondent à des enjeux de productivité, d’environnement et de qualité des produits. Pour cela, les expertises en agronomie, écologie, écophysiologie, génétique de l’UMR sont mobilisées pour la transition agroécologique. Les thèmes emblématiques travaillés à l’UMR portent sur l’écologie microbienne, les légumineuses, les adventices, les interactions plantes microorganismes, mais également plantes-plantes, les régulations biologiques, etc. Sur la base de ces recherches, des systèmes agricoles innovants sont co-construits avec l’unité expérimentale Inrae de Bretenières et testés au champ au sein de la plateforme Casys.
RA : Vous êtes maintenant vice-président de Dijon métropole en charge de la transition alimentaire. Quel lien y a-t-il entre vos travaux à l’Inrae et vos nouvelles responsabilités ?
P.L. : J’ai assuré entre 2017 et 2020 la direction scientifique du projet Territoire d’innovation « Dijon, alimentation durable 2030 » porté par Dijon Métropole. Ce projet est un élément central de la politique de transition alimentaire de la métropole. Cette transition vise à être vertueuse pour l’environnement mais également pour l’économie locale et pour la cohésion sociale. Le principe fondateur du projet TI, et de façon plus générale de notre politique de transition alimentaire, est que le « mieux manger » doit promouvoir le « mieux produire ». Réciproquement « le mieux produire » doit permettre « le mieux manger ». Lequel a pour vocation d’être partagé par tous les dijonnais et dijonnaises, et ainsi contribuer à la cohésion sociale.