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Inrae se projette sur une agriculture sans pesticides à horizon 2050

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Produire sans pesticides sera possible en 2050. Inrae a présenté, le 21 mars, une étude proposant trois scénarios pour arriver à cette finalité. Dans chaque hypothèse, la transformation ne se cantonne pas à l’exploitation agricole. L’écosystème agro-alimentaire et la société, depuis la sphère politique jusqu’au consommateur, doivent évoluer fortement, et de manière coordonnée.

Olivier Mora, ici au micro, a coordonné les travaux d’Inrae autour d’une agriculture sans pesticides - © D.R.
Olivier Mora, ici au micro, a coordonné les travaux d’Inrae autour d’une agriculture sans pesticides - © D.R.

Il n’existe pas une manière d’aboutir à une production agricole sans pesticides en 2050, mais trois ! C’est en tout cas ce qu’établit un travail d’ampleur européenne piloté par Inrae et présenté le 21 mars 2023 à Paris. « Cette prospective a été réalisée selon une méthode originale, explique Olivier Mora, spécialiste de la prospective à Inrae et coordinateur de l’étude. Au lieu d’envisager une trajectoire partant d’aujourd’hui, esquissant des changements progressifs, nous avons directement imaginé un 2050 sans pesticides. » Puis, les chercheurs se sont évertués à identifier les ingrédients et conditions nécessaires à ce point d’arrivée. Ou plutôt, ces points d’arrivée, puisque trois scénarios ont été jugés plausibles par les chercheurs.

Marché global, microbiomes sains et paysages emboîtés

  1. La première hypothèse, « marché global », fait des filières les moteurs du sans pesticides. Les standards internationaux s’appuient sur cette finalité, contrôlée par des certificateurs privés. Les exploitations se spécialisent fortement, et les nouvelles technologies sont essentielles et au cœur d’investissements importants : robots de surveillance et de lutte contre les bioagresseurs, variétés résistantes, biocontrôle et biostimulants.
  2. Le scénario « microbiomes sains » met en avant les interactions plantes-sol-sphère microbienne. Celles-ci sont optimisées, nécessitant notamment une diversification des cultures dans l’espace et dans le temps, la création d’outils spécifiques pour monitorer et favoriser la sphère microbienne, et un rôle important des amendements organiques.
  3. La dernière voie, « paysages emboîtés », implique une approche très territorialisée. Ce sont les acteurs locaux qui mènent la danse : ils se coordonnent pour construire une mosaïque paysagère comprenant au moins 20 % d’habitats naturels, favorisant la régulation biologique et limitant la prolifération des maladies, ravageurs et adventices. Le suivi de l’environnement est au cœur de ce scénario.

Quelle évolutions dans l’assiette ?

Les scientifiques d’Inrae ne se sont pas contentés de projections techniques sur les exploitations, les systèmes de culture, les technologies. Dans chaque cas, les régimes alimentaires suivent leur propre trajectoire : ils évoluent peu, par rapport à 2020, dans le scénario 1. Ils sont marqués par un recul important du nombre de calories par personne et par jour (via un recul de la quantités des produits d’origine animale) dans les scénarios 2, où le consommateur plébiscite une alimentation saine, et 3 où ses préoccupations pour l’environnement sont plus marquées.

Sans pesticides ne veut pas dire perte de souveraineté

Autre dimension prise en compte : la position de l’Europe dans l’économie mondiale. « Ce travail a une ampleur européenne, rappelle Christian Huyghe, directeur scientifique d’Inrae. Il implique 144 experts issus de 20 pays. Il est naturel que nos scénarios s’inscrivent dans cette échelle. » Dans le scénario 1, l’Europe devient importatrice nette, alors que dans les deux autres hypothèses, elle instaure des clauses miroirs, d’autant plus drastiques dans le scénario trois, et gagne en souveraineté alimentaire.

Des retombées positives sur l’environnement

Enfin, les chercheurs ont simulé les conséquences environnementales de leurs projections. Chantal Le Mouël, directrice de recherche à Inrae, a proposé un focus sur les gaz à effet de serre. « Dans les trois situations, les émissions reculent respectivement de 8 %, 20 % et 37 % par rapport à 2010 », pose-t-elle. Si la biodiversité n’a pas été abordée en détail lors de la restitution du 21 mars, les trois scénarios contribuent « probablement à une amélioration des écosystèmes agricoles », complète Chantal Le Mouël.

Toutes ces dimensions considérées, ces scénarios ont-ils une chance de se concrétiser ? « Nous avons esquissé des possibles, pas des pronostics, explique Christian Huyghe. Ils nous aident, nous, scientifiques, à identifier les pistes que nous devons suivre. Mais clairement, les scénarios impliquent beaucoup plus que la recherche : la transition nécessite des mesures fortes et coordonnées impliquant les politiques européenne et nationale, les filières, les consommateurs. »