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« La peur de consommer des microgrammes de phytosanitaires mais pas des grammes de médicaments », Pierre Weill, chaire « Aliments et bien-manger »

Le | Recherche-developpement

Fin des labels, difficulté du monde agricole à rassurer sur l’alimentation, incertitude sur le consentement des consommateurs à payer davantage pour mieux manger, etc. Fondateur de l’association Bleu-Blanc-Cœur, Pierre Weill nous parle sans langue de bois de la difficulté à structurer le bien-manger, quelques mois après avoir lancé une chaire dédiée à cet enjeu au sein de la Fondation Rennes 1.

« La peur de consommer des microgrammes de phytosanitaires mais pas des grammes de médicaments », Pierre Weill, chaire « Aliments et bien-manger »
« La peur de consommer des microgrammes de phytosanitaires mais pas des grammes de médicaments », Pierre Weill, chaire « Aliments et bien-manger »

Avec de nombreux partenaires, dont plusieurs représentants du secteur agricole (Place de la gare, Triballat-Noyal, Lactalis, Bleu-Blanc-Cœur, Ufab-Le Gouessant, Avril, Metro, Crédit Agricole d’Ille-et- Vilaine, Conseil Régional), la Fondation Rennes 1 s’est dotée, en mai 2020, d’une chaire « Aliments et bien-manger ». Les travaux, portant notamment sur les conditions nécessaires au « bien-manger » et déterminant l’acte d’achat, se dérouleront sur trois ans. Explications avec le titulaire de la chaire, Pierre Weill, également fondateur de l’association Bleu-Blanc-Cœur.

Référence Agro : quelles étaient les motivations et les ambitions préalables à la création de la chaire « Aliments et bien-manger » ?

Pierre Weill : Je suis allé voir le président de l’Université de Rennes 1, il y a deux ans, pour dire que produire des connaissances ne suffisait plus en matière d’alimentation. Par exemple, les consommateurs ont peur de consommer des microgrammes de produits phytosanitaires mais n’ont pas peur des médicaments tous les jours. Ce n’est pas avec les sciences dures que l’on peut comprendre cela : elles produisent des connaissances, mais il faut faire intervenir les sciences humaines pour les rendre accessibles.  Il existe une véritable défiance des consommateurs envers les producteurs, qui pensent faire de mieux en mieux mais sans parvenir à rassurer. De gros efforts sont pourtant déployés dans le monde rural pour s’adapter aux attentes des mangeurs. Mais nous assistons à une réel échec du réenchantement de l’alimentation. Nous devons créer de la connaissance et recréer du lien. Pour cela, nous avons besoin de laboratoires, d’outils précis, de gens qui se parlent, etc, bref de décloisonner ! La chaire est financée par des partenaires privés et des collectivités, coopératives agricoles, industriels, la Région Bretagne…. C’est un lieu de rencontres.

R.A. : de quelle manière la chaire va-t-elle s’attaquer à ces enjeux ?

P.W.  : Nous commençons à mettre en place des actions de formation et de recherche. En ce qui concerne la formation, nous réfléchissons notamment aux conditions de la bonne consommation et du bien-manger sous contraintes (usage, coût…). Nous collaborons dans ce sens avec des étudiants en architecture/design, pour concevoir des contenants incitatifs. Un hackaton avec 150 étudiants de

l’IGR (école universitaire de management de Rennes) a permis de réfléchir sur les facteurs encourageant le bien-manger (avec qui, quoi, comment), et sur les contraintes en termes de temps ou économiques des étudiants. La consommation de viande chute depuis les années 1980, mais elle redémarre, depuis deux ans chez les jeunes, surtout sous forme de steaks hachés, nuggets , kebabs, pizza… Cela intéresse les partenaires de la chaire car ces informations ne ressortent pas dans les panels d’études. Le delta entre le déclaratif des panels et la réalité des achats et consommations sous contraintes est énorme et mal expliqué.

Ensuite, en ce qui concerne la recherche-action, nous nous posons plusieurs questions : est-ce acceptable pour les consommateurs de dépenser davantage pour leur santé, est-ce que le véganisme est une vraie demande ou la conséquence d’une offre alimentaire exponentielle, quelles conséquences de la Covid-19 sur la consommation, etc ? A travers notre laboratoire de la transition  alimentaire qui croise les expertises de plusieurs laboratoires de l’Université Rennes 1, nous voulons déterminer plus précisément la manière dont se traduit l’itinéraire d’achat d’un produit.

R.A. : quelle analyse faites-vous du marketing actuel dans le secteur alimentaire ?

P.W.  : Aujourd’hui, les méthodes utilisées ne sont pas les bonnes. Le mangeur n’a pas tous les torts. Je suis mitigé sur les discours “sans”. Je n’ai pas l’impression que dire que c’est sans OGM, ou avec moins de plastiques, va réenchanter l’alimentation. Les OGM par exemple sont d’abord un marqueur social. La perception du risque est liée à la notion d’argent. Aucun pays n’accepte de payer plus pour du « sans OGM. » Mais, encore une fois, ce ne sont pas les panels qui vont montrer ça. Dans le dogme du marketing dit « de cible », chaque produit doit trouver sa cible (goût ou qualité, etc), nous percevons  au contraire que tout est lié et important pour le « mangeur » qui incorpore son aliment et n’est pas juste un consommateur.

R.A : quel serait selon vous le modèle alimentaire idéal ?

P.W. : A mon sens, nous allons tout droit vers une alimentation à deux vitesses. Cela a été amplifié avec la Covid. Sur la base des panels, l’interprofession des viandes et du bétail, Interbev, veut atteindre 40 % de la production en bio ou Label Rouge. Mais l’amont agricole a besoin de mieux connaître les attentes. Un clivage se met en place. Les Etats généraux de l’alimentation prônaient la montée en gamme… à budget constant. Mais cela n’a pas été le cas : en restauration collective, 50 % de bio et de Label Rouge coûte cher et il faut se rattraper sur le reste. La guerre des prix repart de plus belle et gomme les progrès à la production pour la majorité des produits. Cela ne peut pas durer. La logique des labels est sans doute derrière nous, car elle sous-entend qu’une partie de la production est de qualité inférieure. Un nouveau modèle doit émerger. Nous devons faire évoluer le cœur de gamme, j’espère que ce sera la grande tendance à venir. Nous devons trouver des financements alternatifs à cette montée en gamme pour tous, comme par exemple les paiements pour services environnementaux.