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Le lien controversé entre numérique et agroécologie pointé par une étude de l’Inrae

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Éléonore Schnebelin, doctorante à l’Inrae Occitanie, analyse les liens entre digitalisation et transition agroécologique en grandes cultures. Dans une étude, elle insiste sur le risque d’un modèle unique de digitalisation qui ne favorise qu’un seul type de parcours d’écologisation.

Le lien controversé entre numérique et agroécologie pointé par une étude de l’Inrae
Le lien controversé entre numérique et agroécologie pointé par une étude de l’Inrae

Le numérique contribue à l’écologisation de l’agriculture. Cette idée, déjà controversée, est remise en question dans une étude publiée dans la revue Ecological Indicators, intitulée « Relier la diversité des modèles d’écologisation aux profils d’usages numériques des agriculteurs », datée de juin 2022. Éléonore Schnebelin, doctorante sur le numérique et l’innovation en agriculture à l’Inrae Occitanie, y analyse les liens entre digitalisation et transition agroécologique.

Moyen de production ou outil d’information

Pour réaliser cette étude, elle distingue deux types d’utilisation : le numérique comme moyen de production avec l’agriculture de précision ou l’automatisation ; et comme outil d’information, d’acquisition de connaissances et de communication. Éléonore Schnebelin s’est focalisée sur les producteurs de grandes cultures en interrogeant 98 céréaliers de la région Occitanie.

Éléonore Schnebelin estime que l’utilisation du digital comme moyen de production est fréquemment associée à une écologisation faible des pratiques et à une poursuite de l’industrialisation de l’agriculture. Selon la scientifique, le digital ne favorise pas une reconfiguration des systèmes de production : pour les technologies sur les intrants, elle estime que les outils numériques favorisent une optimisation et non une reconception. La taille économique des exploitations influence également l’adoption de ces technologies, qui à leur tour facilitent la trajectoire d’expansion de ces modèles. Les résultats montrent que les outils informatiques de type PAO sont souvent une réponse aux besoins de modèles de production plus industriels fondés sur l’expansion, l’externalisation des activités, le salariat, la spécialisation et l’intensification. La PAO devient alors un outil de gestion indispensable pour organiser le travail sur l’exploitation, gérer la logistique et la traçabilité.

Le système industriel favorisé

Selon le travail réalisé, l’adoption de ces technologies est aussi liée à l’environnement de l’exploitation : les coopératives en amont et les entreprises de l’aval par le biais des cahiers des charges et contractualisation. « Cela renforce l’hypothèse avancée dans de nombreuses recherches en sciences sociales, selon laquelle les technologies numériques, et plus particulièrement celles de l’agriculture de précision, tendent à favoriser et verrouiller le système agricole industriel dominant », explique-t-elle. Elle ajoute : « Il est nécessaire de fournir une analyse institutionnelle des rôles des acteurs intermédiaires sur les règles et pratiques qui impactent la relation entre les trajectoires de numérisation et d’écologisation. »

La chercheuse nuance toutefois ces résultats. Dans certains cas, ces outils ont permis des changements plus radicaux, notamment sur la gestion durable des sols. Le numérique semble par ailleurs favoriser une autre forme d’écologisation : le développement de l’agriculture biologique dans les grandes exploitations.

S’informer quand les connaissances manquent

Le numérique comme moyen d’information est perçu de manière plus positive. Il semble être une source de conseils dans des situations atypiques, ou pour acquérir des connaissances qui ne sont pas disponibles dans les réseaux locaux. Il serait également une source d’inspiration pour expérimenter de nouvelles pratiques, en restant vigilant sur la fiabilité des informations, notamment en termes de conditions pédologiques et météorologiques locales. Internet n’est pas forcément une forme privilégiée d’accès au savoir, mais il permet de combler le manque d’information agroécologique des réseaux traditionnels, par exemple pour les cultures de couverture et l’agriculture de conservation.

Des pistes pour avancer

Face à ce constat en demi-teinte, comment permettre à la numérisation d’embrasser des modèles plus agroécologiques et diversifiés ? Éléonore Schnebelin estime que d’autres formes de développement de la numérisation doivent être envisagées. « L’unité de base des technologies numériques pourrait passer d’une culture à un système complexe », indique-t-elle. La conception participative pourrait être promue. Les objectifs de digitalisation pourraient par ailleurs intégrer une diversité d’attentes, comme favoriser l’expérimentation à la ferme, l’analyse systémique et les échanges de connaissances plutôt que l’optimisation des intrants et l’augmentation de la traçabilité. « Il faut aussi renouveler les modèles économiques et politiques des technologies, comme les technologies ouvertes ou collectives, la marchandisation des données étant liée à l’industrialisation », ajoute-t-elle.

Le fait que l’agriculture numérique soit principalement porté par les industries privées, soutenues par la politique nationale, engendre un risque de verrouillage de l’innovation écologique, selon Éléonore Schnebelin. « D’autant plus que les entreprises AgTech ne perçoivent pas l’hétérogénéité de l’écologisation », indique-t-elle.

Alors que le ministère de l’Agriculture a publié le 28 février sa feuille de route French Agri Tech,  Éléonore Schnebelin pointe surtout le risque « d’un modèle unique de digitalisation qui ne favorise qu’un seul type de parcours d’écologisation ».