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« L’objectif est que nous relevions d’un partenariat public-privé », Sébastien Picardat, Agdatahub

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Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a annoncé le 16 juillet 2024 le passage d’Agdatahub sous gouvernance publique. Sébastien Picardat, directeur général, revient sur les récents développements d’Agdatahub et sur les évolutions attendues.

Sébastien Picardat, DG d’Agdatahub - © D.R.
Sébastien Picardat, DG d’Agdatahub - © D.R.

Le ministère de l’Agriculture a annoncé le 16 juillet 2024 son intention de passer Agdatahub en gouvernance publique. Que cela changera-t-il concrètement ?

L’ancienne ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Agnès Pannier-Runacher, avait annoncé effectivement la décision du Gouvernement de retenir Agdatahub comme l’infrastructure publique de partage de données pour le secteur agricole et donc de passer à une gouvernance publique. Cela signifie que la majorité du capital de la société Agdatahub, qui est une SAS, sera détenue majoritairement par le pool d’acteurs publics que sont l’État (via France 2030), la Caisse des Dépôts et IN Groupe.

Cette intention du Gouvernement a été accueillie favorablement par notre conseil d’administration. Le passage effectif sous gouvernance publique est conditionné par la tenue de l’Assemblée générale de la société le 15 octobre 2024. Dans le fonctionnement opérationnel, il n’y aura aucun changement.

Cela aura-t-il une incidence sur votre modèle économique et votre développement en tant que start-up de l’Agtech ?

Nous avions une interrogation sur la question du modèle économique de cette nouvelle activité d’intermédiation de données. Historiquement, nous étions sur un modèle économique d’une plateforme avec des abonnements qu’on appelle SaaS (Software as a Service). Mais le marché n’était pas suffisamment mûr autour de la donnée. Il faut vulgariser le discours et sensibiliser les dirigeants à l’importance de la donnée, notamment sur un potentiel retour sur investissement, et former des data managers dans les organisations pour développer les cas d’usage. Nous avons utilisé les mécanismes de financement des startups, mais nous ne sommes pas une startup.

Au départ, nous pensions que notre activité pouvait relever à 100 % du secteur privé et que nous serions autonomes financièrement, comme une start-up. Mais nous nous rendons compte que ce n’est pas le bon cadre de réflexion comme nous l’a confirmé l’inventaire des plateformes de partage de données réalisé au niveau européen dans le cadre du projet AgriDataSpace… Nous ne sommes plus une start-up en mode abonnement SaaS. Aujourd’hui nous sommes davantage un opérateur d’infrastructure à l’instar des infrastructures de transport comme les réseaux mobiles, la fibre optique, les réseaux de distribution d’eau ou d’énergies.

Ce passage sous gouvernance publique, c’est la matérialisation de ce changement de réflexion. La vision à terme, c’est que notre activité relève, non pas d’un service 100 % public opéré par le ministère de l’Agriculture, mais d’un partenariat public-privé en qualité d’opérateur de service public. Et pourquoi ne pas avoir un appui financier de l’État pour aider, pendant une période limitée dans le temps, les acteurs à financer le raccordement de leurs données et de leurs APIs à la plateforme ? Quoi qu’il arrive, le service de gestion des autorisations que nous proposons est un service public et restera gratuit pour les agriculteurs.

Le scénario d’atterrissage, à terme, doit permettre d’opérer une infrastructure publique de partage de données, qui exerce l’activité régulée d’intermédiation de données avec un modèle économique pérenne basé sur une redevance pour déployer des politiques publiques et des cas d’usage pour des acteurs publics et privés. C’est précurseur. Nous avons été les premiers à bénéficier des aides publiques BPIFrance sur les espaces de données en 2018, nous avons été l’un des premiers investissements de la Caisse des Dépôts sur ce domaine en 2020, nous avons été le premier projet phare Gaia-X en 2022… Nous sommes l’un des premiers intermédiaires de données enregistrés au niveau européen en 2024.

Vous fêtez cette année les dix ans d’une idée : celle d’une interconnexion des acteurs publics et privés autour des données du secteur agricole. Quel bilan dressez-vous de ce processus de partage de la data ?

En 2014, les enjeux autour de la donnée agricole ont été identifiés à la fois par la puissance publique et par la profession agricole avec la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs. Le point de départ était : d’une part les projets de recherche API-Agro et Multip@ss coordonnés par les instituts techniques, et d’autre part le mandat donné par le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, à Jean-Marc Bournigal, président de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, afin d’imaginer comment, dix ans plus tard, en 2025, le numérique pourrait modifier le quotidien des exploitants agricoles français.

Selon les conclusions de ce rapport, il faudrait que le ministère en charge de l’agriculture exploite un portail public de données des exploitations agricoles. C’est-à-dire qu’il collecte les données, les stocke, les échange et puisse les traiter pour améliorer le revenu de l’agriculteur en augmentant son chiffre d’affaires et en diminuant ses charges et son impact environnemental.

Il y a 10 ans, dans le monde de la donnée, c’était la folie de l’open data. Tout le monde en voulait. Mais les professionnels agricoles étaient réticents à l’idée de laisser l’État récupérer les données des agriculteurs et que tout le monde y ait accès. Les données de production sont potentiellement sensibles, puisqu’il s’agit d’informations concernant la localisation des bâtiments d’élevage, le suivi sanitaire des animaux, les fertilisations, etc.

Il faut donc que les données restent maîtrisées par l’agriculteur. Il ne s’agit pas pour autant de les fermer et de rester assis sur ce tas de données, comme sur un tas d’or, mais bien de pouvoir les faire circuler en toute sécurité. L’agriculteur doit pouvoir choisir, en donnant son autorisation, de les partager avec sa coopérative, son négociant, l’État et autres, pour un usage précis.

C’est autour de ce projet qu’est née en 2017 la société API-Agro, qui est devenue Agdatahub depuis. L’objectif à l’époque était d’être une infrastructure de partage de données pour interconnecter les 400 000 exploitations agricoles françaises avec leurs 85 000 partenaires, en amont et en aval. Aujourd’hui, c’est opérationnel et nous sommes une équipe de 10 personnes, avec 2300 utilisateurs inscrits sur notre plateforme. Sur les cinq dernières années, 12 millions d’euros ont été investis pour opérer cela.

Vous n’opérez pas seulement en France, mais aussi à l’échelle européenne. Quel est l’objectif derrière ce développement au sein de l’Europe ? Cherchez-vous à vous étendre au niveau international ?

Au niveau international, non. Nous voulons plutôt être opérationnels en Europe, car cette activité et son concept sont très liés à un cadre réglementaire souhaité par l’Union européenne, notamment le DGA (Data Governance Act), en vigueur depuis septembre 2023, et le Data Act qui s’appliquera progressivement jusqu’en 2026. Ce n’est pas forcément la vision des acteurs américains ou chinois.

L’économie de la donnée et l’accès aux données, c’est un vrai sujet international. Mais les règles, l’encadrement, la structuration des transactions de données avec les intermédiaires de données, c’est un sujet très européen. L’Europe, avec tout ce cadre réglementaire, a une vision d’avance sur l’économie de la donnée.