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« Sur le biochar, il faut rester prudent », David Houben, enseignant-chercheur à UniLaSalle.

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Résultat d’une pyrolyse de biomasse, le biochar peut favoriser la séquestration du carbone et la fertilité des sols. Des propriétés qui intéressent, alors que le sujet carbone est désormais incontournable dans le secteur agricole. Mais le biochar suscite aussi de la méfiance, son utilisation étant complexe et ses effets sur le long terme inconnus. Explications avec David Houben, enseignant-chercheur en science du sol chez UniLaSalle.

David Houben, enseignant-chercheur en science du sol chez UniLaSalle, lors de la mise en place d’un  - © D.R.
David Houben, enseignant-chercheur en science du sol chez UniLaSalle, lors de la mise en place d’un - © D.R.

Référence Agro : Le biochar fait de plus en plus parler de lui, pouvez-vous expliquer ce que c’est ?

David Houben : À la base, le biochar est un déchet, un résidu solide de la pyrolyse réalisée pour convertir de la biomasse en énergie, en l’occurrence du gaz et de l’huile. Il est obtenu en chauffant de la biomasse entre 300 et 700 °C, en l’absence d’oxygène. Dans le courant des années 2000, des études ont souligné le fait que le biochar pourrait être un levier de lutte contre le changement climatique car il conserve le carbone et augmente la fertilité des sols. Il est également récalcitrant à la dégradation microbienne et non polluant à produire.

R.A. : Son utilisation pourrait donc être intéressante pour le secteur agricole ?

D.H. : Le biochar possède des propriétés indéniablement intéressantes. Il fournit du carbone stable, non dégradable par les organismes du sol. Des cendres sont également produites lors de la fabrication du biochar. Celles-ci sont riches en éléments nutritifs et contribuent à améliorer la fertilité des sols. Le biochar peut aussi disposer d’une grande capacité de rétention de nutriments et de l’eau en raison notamment de sa matrice poreuse. Il pourrait ainsi être une alternative partielle à la suppression à venir de la tourbe dans les terreaux. Le biochar peut également participer à la formation d’agrégats et fournit ainsi de nouveaux habitats aux microorganismes du sol. Enfin, il retient certains contaminants et limite leur mobilité et leur toxicité. Cela a beaucoup été observé sur les métaux mais aussi sur les contaminants organiques. Peu d’études ont été menées sur les produits phytosanitaires.

R.A. : Comment expliquer, malgré toutes ces propriétés, le caractère encore anecdotique de l’usage du biochar en France ?

D.H. : Car ça, c’est la théorie ! En pratique, il existe en réalité des biochars aux propriétés différentes, selon la température de chauffe, du temps passé dans le réacteur, etc. Le biochar peut ainsi être acide ou alcalin, et plus ou moins retenir les nutriments. Le contexte pédoclimatique et les besoins des exploitations sont à prendre en compte. Cette complexité peut limiter son utilisation. Sur des sols basiques comme les sols crayeux par exemple, l’utilisation de biochar, lui-même très souvent basique, peut limiter le prélèvement d’éléments nutritifs et faire baisser les rendements, comme l’ont observé certaines coopératives. Le risque d’avoir des effets nuls ou négatifs en cas de recours à un biochar non adapté est grand. Sans compter que certains biochars artisanaux peuvent contenir des composés toxiques pour les organismes du sol. Nous avons mené de nombreux essais en collaboration avec d’autres organismes de recherche pour tester les effets du biochar, notamment avec du compost en plein champ. Les effets étaient souvent neutres en matière de rendement, sauf en cas de stress. Le biochar agit donc plutôt comme un tampon face au stress. Des études menées actuellement semblent confirmer l’effet du biochar dans l’atténuation des effets des stress hydriques sur les baisses de rendement. C’est intéressant, vu le contexte actuel. Ainsi, malgré une méfiance certaine en France sur le sujet, qui a fait que le pays a longtemps été à la traîne, nous observons un regain d’intérêt. Beaucoup d’entreprises veulent se lancer.

R.A. : Quelles sont leurs motivations ?

D.H. : Cela vient notamment de l’engouement autour des crédits carbone. Le biochar étant une source de carbone stable, sa production et son incorporation dans le sol permet de séquestrer du carbone, ce qui peut être rémunéré à travers les crédits carbone. Cependant, le prix du biochar (en moyenne 500 euros pour une tonne) est actuellement largement supérieur à la valeur du crédit carbone (40 à 100 euros pour une tonne en moyenne). Avec le développement d’une nouvelle filière, les entreprises devraient démocratiser cet usage de valorisation des déchets. Par ailleurs, jusqu’à présent, la mise sur le marché français du biochar devait passer par une demande d’homologation, procédure souvent longue et onéreuse, qui ne concerne souvent qu’un seul type d’usage. Cela a limité les initiatives. La réglementation européenne vient d’évoluer, pour faciliter son utilisation et sa mise sur le marché. Reste à voir la manière dont cela sera transposé en France.

R.A. : L’usage du biochar est-il à encourager ?

D.H. : Le bémol, avec le biochar, est qu’il est difficile de connaître précisément ses effets en conditions réelles sur le long terme. Je crains que l’utilisation du biochar soit faite sans le recul nécessaire, en particulier en contexte tempéré. Il faut rester prudent. En raison de l’engouement autour des crédits carbone, des centaines de milliers de tonnes pourraient être produites dans un futur proche dans le monde. Elles risquent d’inonder le marché. Difficile aussi de savoir précisément quelle dose appliquer. La plupart des tests ont été réalisés avec 10 à 20 tonnes par hectare, ce qui coûtait autour de 10 000 € par hectare il y a quelques années, pour des résultats pas si intéressants que ça. Il est donc compliqué de formuler des recommandations. Des recherches sont aussi à réaliser sur les effets dans le temps de ce qui reste dans le sol. Alors que les coopératives et des agriculteurs s’intéressent de plus près à ce sujet, il faut construire un référentiel démêlant le vrai du faux en la matière.

Un héritage des civilisations précolombiennes

La recherche sur le biochar a été stimulée, il y a une vingtaine d’année, par la redécouverte des sols noirs (terra pretta), en Amazonie, très fertiles grâce à la présence de charbon. « Ces sols ont été enrichis par les civilisations précolombiennes », explique David Houben. Depuis, la recherche a peu à peu investi le sujet, qui reste encore lacunaire. En effet, beaucoup d’études sont réalisées en contexte tropicaux, où les sols sont propices à l’acidification, et comptent peu de nutriments. « Cela favorise des effets remarquables, note David Houben. En climat tempéré, c’est différent et il n’y a donc pas forcément d’effets positifs sur les rendements. » Aujourd’hui, la Chine, les États Unis, l’Australie ou le Canada sont en avance sur le sujet. En Europe, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Suisse mènent la danse. « La France est un peu à la traîne, car les agences de financement de la recherche sont fébriles, elles craignent une concurrence avec d’autres applications de valorisation de la biomasse », note David Houben.