Impasses techniques, l’Anses se défend de toute surtransposition de textes européens
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Le nombre de substances actives phytopharmaceutiques s’amoindrit d’année en année, de même que le nombre de produits disponibles en France. Parallèlement, les impasses techniques se multiplient. L’Anses, souvent attaquée, se défend pourtant de toute surtransposition de textes européens. Elle accueille favorablement la nouvelle stratégie nationale annoncée par la Première ministre. Explications avec Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée de l’Agence, chargée du pôle produits réglementés.
Référence agro : Comment l’Anses accueille-t-elle la nouvelle stratégie nationale sur les produits phytopharmaceutiques annoncée le 27 février 2023 par Élisabeth Borne ?
Charlotte Grastilleur : Nous accueillons très favorablement le fait que le Gouvernement traite le problème des impasses techniques, veuille anticiper les potentiels futurs retraits de molécules et lancer un plan de développement d’alternatives. Car la réduction du nombre de substances actives phytopharmaceutiques disponibles ne date pas d’hier. Sur les dix dernières années, 2 866 produits ont dû être retirés du marché en France.
L’Anses travaille avec le ministère chargé de l’Agriculture, et notamment avec la Commission des usages orphelins, pour prioriser les dossiers à traiter. Nous portons beaucoup d’attention aux dossiers de biocontrôle, qui sont traités le plus rapidement possible, ainsi qu’aux usages mineurs d’utilité. En tant qu’Agence de sécurité sanitaire, nous évaluons les demandes des firmes, en tenant compte de leurs revendications sur le produit (usages, efficacité, conditions d’emploi), et nous statuons avec des critères légaux, en respectant le règlement (CE) n° 546/2011, pour assurer la mise à disposition de produits sûrs et efficaces.
Ce qui ne relève pas des missions de l’Anses, c’est l’accompagnement des filières et des firmes dans la construction et la préservation d’un arsenal thérapeutique, avec une cohérence entre l’offre des produits et les besoins des utilisateurs. Les textes réglementaires ne tiennent pas compte des impasses techniques. Seul l’article 53 du règlement n° 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques offre la possibilité aux États membres d’octroyer des dérogations, dans des circonstances particulières. Ces dérogations, qui n’excèdent pas 120 jours, sont gérées en France par la DGAL.
R.A. : De nombreux acteurs agricoles reprochent à l’Anses de surtransposer les textes européens. Que leur répondez-vous ?
C.G. : L’Anses ne surtranspose aucun texte réglementaire. Elle évalue des risques, soit parce que le Gouvernement la saisit, soit parce qu’elle s’auto-saisit lorsqu’un problème sanitaire est soulevé, dans le cadre de son dispositif de phytopharmacovigilance, par exemple. Notre rôle est de garantir que les substances actives et les produits répondent aux critères d’évaluation.
Le nombre de substances actives utilisées en France dans les produits autorisés à ce jour s’élève à 309, sur 453 substances actives approuvées au niveau européen. Ce décalage ne provient pas d’une surtransposition, mais par exemple du fait que le produit de référence du dossier européen ne corresponde pas aux conditions agro-pédoclimatiques françaises ou que les sociétés phytopharmaceutiques ne déposent pas de demande d’autorisation de mise sur le marché de produits à base de toutes les substances approuvées au niveau européen. Certaines décisions particulières, qui ne sont pas de notre ressort, peuvent également conduire à des interdictions de substances sur le territoire français, comme les néonicotinoïdes, par exemple. Les mesures complémentaires telles que les distances de sécurité forfaitaires pour les résidents sont aussi françaises et non européennes.
R.A. : Des évaluations comparatives, comme celle réalisée pour le glyphosate, seraient-elles envisageables afin de réduire les interdictions d’usages lorsqu’il n’y a pas d’alternatives ?
C.G. : Juridiquement, ces évaluations comparatives sont envisageables. Mais elles exigent un travail phénoménal pour peu de résultat. Pas moins de deux ans ont été nécessaires pour le glyphosate. L’étude usage par usage, alors que les alternatives font défaut, n’est pas concluante. Elle sera efficace lorsque les alternatives seront développées. Les producteurs ont besoin d’innovations pour pallier la réduction du nombre de molécules de synthèse disponibles. La nouvelle approche au champ est du ressort d’Inrae et des instituts techniques, le développement de biosolutions ou de produits de synthèse aux profils plus favorables relève de la recherche publique et privée.
R.A. : Quelles solutions verriez-vous pour réduire les impasses techniques ?
C.G. : Il semble difficile de changer les textes réglementaires pour y insérer la possibilité de déroger à toute interdiction lorsqu’aucune autre solution n’existe car la sécurité doit prévaloir. Ce n’est pas à l’Anses d’en décider. Doit-on, pour continuer à disposer des produits, renforcer les contraintes d’utilisation, quitte à imposer des conditions drastiques ? Peut-être, mais des ZNT aquatiques élevées ou des dispositifs végétalisés permanents (DVP), par exemple, sont très lourds à gérer pour les agriculteurs. Il faut rester pragmatique ! Et l’exemple du S-métolachlore montre que les restrictions d’usages ne s’avèrent pas toujours suffisantes.
Un levier intéressant, que les firmes utilisent déjà, est de jouer sur l’efficacité ; par exemple réduire les doses et conserver une efficacité minimale. En tant qu’Agence sanitaire, nous sommes garants de l’efficacité. Doit-on envisager d’autoriser des solutions moins efficaces, qu’il faudra combiner avec d’autres ? Le débat est ouvert.
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La diminution du nombre de produits disponibles en France n’est pas nouvelle : on comptait 3 036 produits en 2008, contre 1 917 en 2015, date de transfert de l’activité de décision à l’Anses ; depuis, il y a une stabilisation autour de 1 900 à 2 000 produits.[/caption]