À l’Agence Adour-Garonne, la sobriété érigée en rempart face à la raréfaction de l’eau
Les six agences de l’eau françaises ont entamé leur 12e programme d’intervention. S’étalant sur six ans, il ambitionne de répondre à des besoins en eau toujours plus prégnants, liés à l’accélération du changement climatique et de ses conséquences. Figurant parmi les bénéficiaires des aides versées par les agences, les agriculteurs sont encouragés à utiliser des procédés de production plus sobres et respectueux de l’environnement. Dotée d’un budget réévalué de 30 % (2 Md€), l’Agence de l’eau Adour-Garonne, qui se prépare à un déficit d’eau de 1,2 milliard de mètres cube à horizon 2050, n’échappe pas à la règle, multipliant les projets pour anticiper des sécheresses à répétition. Précisions avec Élodie Galko, directrice de l’agence depuis octobre 2024.

Comment les projets agricoles financés par votre agence sont-ils sélectionnés ?
Quand nous finançons un projet de retenue avec une dimension agricole, nous veillons à ce qu’il y ait une concertation en amont. Nous parlons de PTGE, pour « projet de territoire pour la gestion de l’eau ». C’est une consultation avec l’ensemble des acteurs du territoire pour regarder si la retenue est capable de stocker en hiver, au vu des projections climatiques. Ensuite, nous regardons les besoins pour les populations, pour les agriculteurs, et nous regardons comment faire en sorte que cela soit en bonne adéquation. C’est là que les questions du partage de l’eau entre les différents usagers se posent et sont traitées. Nous veillons aussi à ce que les agriculteurs sécurisés sur leur eau s’engagent dans des pratiques agro-environnementales. Nous veillons à ce qu’ils soient efficaces dans leur usage de l’eau. Nous pouvons aussi les accompagner en équipant leurs parcelles irriguées de tensiomètres, qui permettent de voir s’il y a de l’humidité dans le sol, s’il faut arroser ou non. Nous allons aussi leur demander de s’engager dans des pratiques qui ont moins d’impact polluant sur la ressource en eau. Cela, ils pourront le faire, car ils seront sécurisés sur l’irrigation, et donc sur leur production.
Quand nous étudions de nouvelles cultures, nous regardons les débouchés qu’elles pourraient avoir.
Nous finançons jusqu’à 70 % des projets de retenue multi-usage. Ce ne sont pas des petites sommes. Il ne s’agit pas d’aller mettre cet argent si, derrière, se crée un problème de pollution qui nous obligera à intervenir en dépense. C’est de l’argent public : nous faisons attention à ne pas créer des problèmes en finançant des solutions.
Nous travaillons avec tout le monde. Nous pouvons travailler avec les chambres d’agriculture, avec des organismes uniques de gestion de l’eau, avec des filières. Quand nous étudions de nouvelles cultures, nous regardons les débouchés qu’elles pourraient avoir. Nous travaillons à l’implantation du chanvre en Charente-Maritime : c’est une filière à bas niveau d’intrants, avec peu de besoins en eau, mais si, derrière, les agriculteurs ne peuvent pas le vendre, cela ne sert à rien de le produire.
Quelles pistes de solutions en lien avec le monde agricole avez-vous identifiées jusqu’à présent ?
La solution, c’est le mix. Il n’y a pas une solution magique qui réglera tout le problème. 1,2 milliard de mètres cube en moins (à horizon 2050), c’est gigantesque. C’est l’équivalent du lac de Serre-Ponçon. Or, nous n’avons pas d’équivalent dans les Pyrénées. La plus grosse retenue d’eau que nous ayons contient 60 millions de mètres cube, à Montbel (Ariège). Et ce n’est pas les prévisions d’enneigement dans les années à venir qui risque d’améliorer la situation. Il faut donc une sobriété des usages, mais la sobriété représente, au mieux, 200 millions de mètres cube économisés. Globalement, il s’agit de retenir l’eau sur le territoire. Cela peut prendre la forme de retenues collinaires, mais aussi par des solutions fondées sur la nature, les zones humides notamment. Ce sont des éponges qui attrapent l’eau quand il y en a trop, et qui vont la restituer quand la Garonne est trop sollicitée. L’avantage de ces solutions est que, bien souvent, elles sont beaucoup moins chères.
Il y a toujours autant de polluants dans moins d’eau, donc nous dépassons régulièrement les seuils.
L’agriculture est concernée par les sujets de la qualité et de la quantité. Ces deux sujets sont étroitement liés, car qui dit moins d’eau, dit concentration des polluants. Il y a toujours autant de polluants dans moins d’eau, donc nous dépassons régulièrement les seuils. Nous accompagnons l’agriculture sur les changements de pratique pour réduire les pressions polluantes et pour rendre l’utilisation de l’irrigation plus efficiente, se tourner vers des plantes à plus forte valeur ajoutée. L’accompagnement se fait aussi sur des retenues, notamment des retenues multi-usages. Nous avons quelques projets qui ont fait l’objet de financement en fin d’année dernière sur plusieurs millions de mètres cube. Ils concernent des optimisations de projets existants, des rehaussements de digue par exemple.
Dans le Tarn, nous avons beaucoup d’exploitations familiales, qui font une cinquantaine d’hectares. Si elles irriguent, la valeur ajoutée sera quatre fois supérieure que si elles n’irriguaient pas. Avec une valeur ajoutée divisée par quatre, une exploitation d’une cinquantaine d’hectares n’est pas viable. Dès lors, elle sera vendue à l’exploitation voisine, qui va s’agrandir. Il y aura quatre fois de valeur créée à l’hectare, ce qui représente un appauvrissement du territoire. Je n’ai pas de jugement à avoir sur la taille des exploitations, mon enjeu est de maintenir la vitalité du territoire par rapport à la question de l’eau.
Sur le volet quantitatif, quelles actions menez-vous ?
Nous finançons beaucoup les mesures agroenvironnementales et l’aide à la conversion à l’agriculture biologique. L’Agence est le premier financeur de ces projets dans la région, après le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Nous intervenons également sur les captages. Nous avons plus de 300 captages dégradés sur le bassin de l’Adour-Garonne. Nous allons par exemple accompagné financièrement les pratiques plus vertueuses du monde agricole, notamment par des dispositifs tels que des paiements pour services environnementaux (PSE), ou des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC).
Dans la très grande majorité des cas, nous avons des résultats, en revanche, cela prend du temps.
Dans la très grande majorité des cas, nous avons des résultats, en revanche, cela prend du temps. Il faut compter dix ans. Il y a une autre option possible, qui est de passer par des mesures obligatoires. Mais si nous en arrivons là, cela veut dire que nous n’avons pas fait ce qui était nécessaire avant.