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« Si nous n’avions pas décarboné notre activité, nous ne serions plus là », Yann Martinet, LCA luzerne déshydratée

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Forte d’une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 95 % par rapport à 2005, la filière luzerne réfléchit désormais à la manière d’assurer sa compétitivité, alors que le recours à la biomasse, pour alimenter le processus de déshydratation, pose de nouvelles questions, notamment économiques. Des réflexions sont en cours sur le carbone et le chiffrement des aménités positives.

©Laure Hänggi - © D.R.
©Laure Hänggi - © D.R.

Depuis plus de deux ans, la filière luzerne déshydratée s’est fixée d’ambitieux objectifs pour décarboner son activité, dans le cadre de son plan stratégique à horizon 2026. Les chiffres présentés le 28 novembre, lors d’un point avec la presse, témoignent des progrès opérés. « Nous avons réduit nos émissions de gaz à effet de serre de 95 % par rapport à 2005, indique ainsi Yann Martinet, le directeur de la filière au sein de La Coopération agricole. Nous sommes un peu déçus, car nous pensions atteindre notre objectif pour 2025, à savoir 0,078 tCO2/t de luzerne, mais l’année a été humide. » Avec 0,08 tCO2 par tonne de luzerne produite, la filière frôle en effet cette ambition, qui marquerait une baisse de deux tiers des émissions par rapport à 2012.

Un recours à la biomasse qui pose de nouveaux enjeux

Alors que les producteurs de luzerne devraient s’acquitter, dans le cadre du système d’échange de quota d’émissions européen (ETS), de 30 €/t produite, Yann Martinet se félicite du choix stratégique opéré par la filière : « En restant au charbon, c’était terminé, on ne serait plus là aujourd’hui », assure-t-il. Cette transition salutaire vers la production d’énergie à partir de biomasse soulève néanmoins d’autres enjeux, notamment en matière d’approvisionnement. « Pour l’heure, c’est une bonne solution, mais nous ne savons pas ce qu’il en sera dans dix ans si la demande en biomasse s’accroît, glisse le directeur de la filière au sein de LCA. Nous sommes en train de faire certifier la biomasse que nous utilisons pour attester de sa durabilité, dans le cadre de la directive européenne sur les énergies renouvelables (RED). La France est un peu en retard, nous manquons d’auditeurs, mais toute notre biomasse devrait être certifiée d’ici à la fin de l’année. »

Réflexions sur le stockage de carbone

Ce recours à la biomasse pose aussi des questions d’ordre économique. En raison du prix de cette biomasse et de rendements annuels en baisse, un surcoût se situant entre 8 et 10 €/MwH reste à absorber. Pour assurer la compétitivité de la luzerne déshydratée, des réflexions sont en cours, notamment sur le sujet omniprésent du bas carbone. « Depuis 2020, nous avons investi dans la recherche pour mesurer le potentiel de stockage de carbone de la filière », rappelle ainsi Honoré Labanca, chargé de mission agronomie au sein de La Coopération agricole luzerne déshydratée. C’est la prochaine étape pour nous, bien que le sujet soit encore balbutiant. » De premiers échanges avec des acteurs de la valorisation carbone, notamment autour du label bas carbone, ont eu lieu. « La marge de progrès potentiel sur les 5 ans du label ont été gommés par l’amélioration de nos process ces dix dernières années, poursuit-il néanmoins. La luzerne serait donc intéressante pour les agriculteurs qui ne l’auraient pas encore intégré dans leur rotation. » Le chargé de mission agronomie estime qu’il serait plus intéressant, à l’heure actuelle, de valoriser ce stockage de carbone via « un bonus » dans l’analyse de cycle de vie de la filière, pour les surfaces déjà en place (voir encadré).

Mieux quantifier les aménités positives

Compte tenu du caractère encore « embryonnaire » du marché carbone, la filière explique se focaliser sur le chiffrement des bénéfices systémiques de la luzerne. « Nous travaillons avec les centres de gestion pour quantifier les aménités positives, comme la moindre utilisation de phytosanitaires, le moindre mécanisation, le nettoiement des parcelles, l’approvisionnement en azote pour les cultures suivantes, etc. Les résultats sont prometteurs », indique Honoré Labanca. Des réflexions sont également menées sur la diversification des débouchés, notamment pour l’alimentation animale, où des besoins spécifiques en termes de santé et bien-être des animaux émergent. Un projet serait ainsi en cours de rédaction pour la santé digestive en filière porcine.

L’analyse de cycle de vie de la luzerne déshydratée mise à jour

Une étude publiée en septembre dernier par Inrae fait état de l’évolution de l’analyse de cycle de vie de la filière luzerne déshydratée entre 2006-09 et 2016-19. Entre ces deux périodes, les émissions de gaz à effet de serre ont été réduites par deux, passant de 1,150 à 0,494 kgCO2eq/kg de matière sèche. « C’est une bonne nouvelle car le secteur agricole est difficile à décarboner », souligne Pascal Thiébeau, ingénieur d’étude chez Inrae et co-auteur de l’étude. Cette baisse est attribuable, en grande partie, au changement du procédé de déshydratation. Sur les différents critères étudiés, comme le changement climatique, l’eutrophisation ou l’utilisation des ressources, seul un n’a pas connu d’amélioration, mais au contraire une dégradation : l’usage des terres. Celle-ci progresse de 45 %, en raison de la baisse des rendements et des surfaces sur lesquelles la biomasse utilisée pour produire de l’énergie non-fossile.