Les zones d’ombre de l’agrivoltaïsme génèrent de la crispation
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Le gouvernement planche actuellement sur un décret d’application de la loi d’accélération des énergies renouvelables, portant sur l’agrivoltaïsme. Il devra fixer un taux de couverture maximal des panneaux sur les parcelles, et les pertes de rendement acceptables. Pour le secteur agricole, l’enjeu est sensible. Explications.
Alors que la loi d’accélération des énergies renouvelables a été adoptée en février dernier, l’un de ses décrets d’application se fait toujours attendre. Un certain nombre de précisions concernant le cadre de déploiement de l’agrivoltaïsme sont en suspens, au grand dam des parties prenantes de ce dossier.
Un statu quo doublement dommageable
La Fédération des producteurs agrivoltaïques (FFPA) et France agrivoltaïsme, deux réseaux d’ampleur nationale, attendaient une publication rapide. En effet, certaines autorités locales ont pris le parti de suspendre les dossiers en instruction jusqu’à la parution du décret, pour ne pas risquer d’y contrevenir par anticipation. Pendant que les porteurs de projets s’impatientent des dossiers gelés, Sébastien Windsor s’inquiète, de son côté, de ceux qui avancent. Le 30 novembre face à la presse, le président de Chambre d’agriculture France a rappelé que les projets validés actuellement « se situent hors de toute régulation ».
Car le fameux décret doit notamment définir l’équilibre acceptable entre installations agrivoltaïques et production agricole. Une notion fait particulièrement débat : le taux de couverture des parcelles par les panneaux. Différentes versions du décret ont circulé ces dernières semaines, dont une évoquant une couverture maximale des parcelles fixée à 25 %. Un chiffre qui fait réagir. « Ce taux de couverture fermerait la porte à des projets intéressants, notamment en arboriculture, fait valoir Sébastien Windsor. Une limite à 40 % me paraît préférable. Charge aux autorités locales d’appliquer un plafond plus bas au cas par cas. »
Inrae se positionne
Une note de positionnement, publiée par Inrae le 17 novembre, est venu apporter un regard scientifique sur la question. « Selon les études disponibles, pour 20 % de taux de couverture par les panneaux, on observe en moyenne une baisse des rendements agricoles de 25 % […], peut-on lire dans ce document. Pour des taux de couverture plus élevés, les rendements diminuent fortement, et les cultures seront abandonnées car non économiquement viables. » Pour Inrae, le taux de 40 % est ainsi « incompatible avec une production agricole durable ». Selon les informations de Référence agro, la publication de cette note aurait pesé dans la préparation des récentes versions du décret. Et cela ne convient pas à tout le monde.
La FFPA appelle par voie de communiqué, le 24 novembre, à ne pas suivre les « scientifiques idéologues », et prône un taux maximal fixé à 45 %. Le syndicat Jeunes agriculteurs, particulièrement méfiant vis-à-vis des dérives de l’agrivoltaïsme, se positionne pour un taux de couverture maximal bas, et se dit donc satisfait s’il était fixé à 25 %, dans un communiqué daté du 30 novembre. Qui dit mieux ? Le même jour, la FNSEA s’aligne sur la position de Chambres d’agriculture France. Elle défend donc un « 40 % », à combiner avec une « limite exigeante concernant les pertes potentielles de rendement ».
Des panneaux et des rendements
Le décret doit justement intégrer cette notion de pertes de rendements acceptables, au-delà duquel un projet devra être retoqué. Sébastien Windsor confirme l’intérêt de ce paramètre : si les panneaux n’impactent pas ou peu le rendement, leur emprise au sol devient un critère secondaire. La question de cette perte de rendement crée ses propres crispations. Parmi les nombreuses versions de travail du décret, certaines ont filtré, révélant que le gouvernement envisage une fourchette de 10 à 15 % de recul des rendements, tolérables en agrivoltaïsme. « Ce doit être 10 %, et non 15 % », martèle-t-on du côté des JA. « Tout n’est pas chiffrable, nuance Sébastien Windsor. Si l’agrivoltaïsme préserve de la grêle, ou permet aux animaux de sortir en restant à l’ombre en période de chaleur, une perte de rendement, mesurée, peut valoir le coup. » La note d’Inrae vient toutefois poser la question de l’adéquation entre taux de couverture des panneaux et pertes de rendements induits…
La prolifération de ces avis et attentes contradictoires mettent le gouvernement dans une situation délicate, et contribue certainement aux reports répétés de la publication du fameux décret d’application. L’échéance désormais évoquée est janvier 2024.