Phytosanitaires, les réflexions de la DGAL face à la baisse de solutions disponibles
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Comment faire face à la réduction croissante de la phytopharmacie qui conduit à de plus en plus d’impasses techniques ? Référence agro s’est rapproché du ministère de l’Agriculture pour connaître sa position. Sa réponse : veiller à l’anticipation des retraits de molécules et des restrictions d’usages et d’emploi.
« Les dérogations de 120 jours octroyées par la DGAL pour certains produits phytosanitaires ne visent qu’à pallier de façon temporaire une impasse », explique-t-on au ministère chargé de l’agriculture. Ces dérogations, permises par le règlement (CE) n° 1107/2009 relatif à la mise sur le marché des produits phytosanitaires, sont donc loin de constituer une réponse à la baisse accélérée de solutions disponibles. Face à la réduction de la phytopharmacie, le ministère s’oriente vers une anticipation des non renouvellements d’approbation de molécules et des fortes restrictions d’usages et d’emploi. Cette anticipation faisait partie des recommandations du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), dans son rapport de février 2021.
Veille de la Commission des usages orphelins
La Commission des usages orphelins a été créée en 2008 pour combler les usages mineurs. Elle est maintenant amenée à s’occuper des usages peu ou mal pourvus pour des cultures majeures. « Les usages mal pourvus prennent le pas sur les usages pourvus », alertait Jean-Claude Malet, expert auprès de la direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère chargé de l’agriculture, lors de la Conférence sur les moyens alternatifs de protection pour une production intégrée (Comappi), organisée à Lille les 8 et 9 mars 2022 par Végéphyl. « Un quart des usages ne dépend que d’un seul mode d’action pour leur couverture phytosanitaire », complétait le spécialiste pour faire prendre conscience des risques d’apparition de résistances.
Trouver des alternatives avant l’interdiction de molécules
« L’objectif est de mieux anticiper les futures impasses et de mobiliser toute la communauté de travail, publique et privée, pour faire en sorte que les transitions se fassent sans rupture en ce qui concerne la capacité à protéger les cultures, précise le ministère. Car habituellement, cinq ans au moins sont nécessaires pour mettre au point et déployer des alternatives, et nous devons veiller à ce que des solutions restent disponibles. » Un délégué ministériel, Hervé Durand, a été nommé pour suivre ce dossier.
« Nous sommes en mesure de prévoir un certain nombre de retraits de molécules ou de pertes d’usages, grâce à un suivi en continu du processus de réévaluation européenne, qui prend plus de cinq ans, affirme-t-on au ministère. Cependant, le défi majeur est celui du développement et du déploiement des solutions alternatives, qu’elles soient chimiques ou non chimiques, qui soient adaptées à l’agriculture d’aujourd’hui ». Et de préciser que, « même si les filières sont déjà largement engagées dans cette démarche pour devancer les suppressions d’autorisation et mettre en place des expérimentations de grande ampleur, il sera nécessaire d’aller plus vite et plus loin ».
Les délais de réévaluation des substances par la Commission européenne sont en outre difficiles à tenir et les prolongations de périodes d’approbation sont légion. « En 2023, plus de 200 molécules devraient en théorie voir leur approbation expirer, informe le ministère. Inévitablement, 150 d’entre elles au moins verront leur approbation prolongée pour achever la procédure. »
Biocontrôle, difficile d’accélérer les mises en marché selon la DGAL
En France, la mise en marché des produits de biocontrôle est déjà facilitée par de nombreuses mesures par rapport aux produits de synthèse. Ces solutions disposent en outre d’une stratégie nationale de déploiement adoptée en 2020. « Difficile d’aller beaucoup plus loin pour raccourcir les délais d’autorisation, souligne le ministère. Car ces solutions demeurent des produits phytosanitaires et nous ne pouvons pas les exempter d’évaluation des risques. »
Des procédures d’évaluation des risques spécifiques aux micro-organismes ont été récemment adoptées au niveau européen. Un travail identique est en cours pour les médiateurs chimiques et les substances naturelles. L’approbation de ces substances actives entrant dans les produits de biocontrôle devrait en être simplifiée et accélérée.
Dérogations de 120 jours : des recours plus importants depuis 2019
Le nombre de dérogations de 120 jours octroyées par la DGAL s’accroît depuis 2019. De 70 en 2019, elles sont passées à 77 en 2020, à 100 en 2021 et devraient atteindre les 105 ou 110 en 2022. « Mais il ne faut pas se focaliser sur ce chiffre, souligne-t-on au ministère chargé de l’agriculture. La France possède une grande variété de climats et de productions agricoles, avec un nombre important de cultures mineures qu’il est essentiel de préserver. Dans cette situation, il est normal que le nombre de dérogations nécessaires soit plus élevé. De plus, il faut prendre en considération le type de produits et les surfaces traitées. Cette année en France, un tiers des dérogations concernent des produits de biocontrôle ou utilisables en agriculture biologique, et deux tiers d’entre elles concernent des cultures mineures. » Par exemple, une dérogation pour lutter contre le charançon des palmiers d’ornement avec un micro-organisme de biocontrôle, ne concerne que des surfaces anecdotiques. Le ministère précise par ailleurs que les dérogations concernent essentiellement des extensions d’usages de produits déjà autorisés sur une autre culture, et donc déjà évalués. Les quelques dérogations octroyées pour des produits en cours d’autorisation portent sur des solutions de biocontrôle.