Agribalyse, l’agriculture biologique ne s’y retrouve pas
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À l’occasion de la diffusion au public des résultats de la base de données environnementales de référence pour l’alimentation, Agribalyse, l’Ademe et l’Inrae ont organisé un colloque digital le 29 septembre. L’occasion pour les chercheurs, professionnels et pouvoirs publics d’exposer leurs attentes et critiques envers la méthode de calcul et d’expliquer le projet d’affichage environnemental aux consommateurs.
« L’agriculture biologique pose un défi à l’ACV ». La formule de Hayo M.G. Van der Werf, ingénieur de recherche à l’Inrae de Rennes, résume la problématique à laquelle sont confrontés les instituts de recherche et les pouvoirs publics quant à l’évaluation de l’impact environnemental de l’alimentation, puis de son affichage aux consommateurs. La mise à disposition au grand public des résultats de la base de données Agribalyse, officialisée par un colloque 100 % digital organisé le 29 septembre par l’Inrae et l’Ademe, soulève deux problèmes majeurs : le premier d’ordre épistémologique, le second d’ordre stratégique.
L’ACV favorise les systèmes intensifs
« Si je veux améliorer mon score, étant en zone de côteaux, je démolis mes murs de pierres sèches, je draine mes prairies humides, j’arrache mes haies, je laboure mes bandes fleuries, j’arrête les couverts végétaux, je remblais les mares, etc. Et là, j’aurai un meilleur score Agribalyse », explique Sabine Bonnot, agricultrice et trésorière de l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologique (Itab). Agribalyse repose sur l’analyse de cycle de vie, ou ACV, qui recense les pollutions tout au long de la vie d’un produit, de la fabrication ou de l’extraction des matières premières jusqu’à la destruction ou le recyclage. « Le fait que l’ACV ramène tout au kilo de produit favorise les systèmes intensifs, poursuit Sabine Bonnot. En clair, nous allons devoir mettre des vaches dans des usines et pas à l’herbe dans les alpages. Idem pour le poulet : un animal élevé en intensif, qui aura vécu 35 jours à 22 par mètre carré, sera toujours noté plus favorable en ACV, avec la méthode actuelle, qu’un poulet bio ou Label Rouge qui aura vécu 81 jours avec quatre mètres carrés par poulet et en plein air. » Pour dépasser cela et intégrer la fonction territoriale de l’agriculture, Hayo M.G. Van der Werf propose d’exprimer les impacts par unité de surface et par kilo de produit.
Et la multifonctionnalité de l’agriculture ?
Conçue pour le secteur industriel dans les années soixante, l’ACV a été façonnée pour étudier des flux entrants et sortants de matière inerte, en comptabilisant les pressions qu’exercent les processus sur l’environnement. Appliquée à l’agriculture, elle pêche à saisir les bénéfices liés à la matière vivante. « Cette question dépasse la problématique de la bio […] avec des critères qui sont manquants, voire lacunaires. C’est problématique pour les systèmes bio mais aussi pour les extensifs », appuie l’agricultrice. La prairie, par exemple, cristallise la difficulté de l’ACV à prendre en compte les services environnementaux rendus par l’agriculture, en particulier le stockage de carbone et la biodiversité. Ce qui pose la question de l’adaptation de l’ACV à la multifonctionnalité de l’agriculture : la production d’un kilo de viande herbivore ne remplit pas uniquement la fonction d’alimentation humaine, mais aussi de fertilisation ou encore d’entretien des territoires. En outre, l’ACV ne distingue pas les espaces productifs : « un hectare de montagne égal un hectare de Beauce », alerte Sabine Bonnot.
Cadrer l’affichage aux consommateurs
L’autre obstacle que soulève la diffusion des résultats scientifiques de la base Agribalyse concerne l’affichage aux consommateurs. Alors que les filières agricoles sont « volontaires pour améliorer les choses », comme le précise Sabine Bonnot qui regrette tout de même que « les points de vigilance soulignés dès le départ [n’aient] pas été traités », et que l’Inrae travaille à dépasser les limites de l’ACV, les données sont désormais publiques, accessibles sur le site https://ecolab.ademe.fr/agribalyse. Comment dès lors réaliser un affichage environnemental qui aille dans le bon sens ? C’est tout l’enjeu de l’appel à projet lancé en septembre pour inciter les acteurs à proposer une démarche pour cadrer cette diffusion d’information. Une expérimentation à la fois redoutée et attendue qui devra aller dans le sens des attentes sociétales.