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« Associer les chercheurs des États membres pour éclairer les politiques européennes », Hervé Guyomard, Inrae

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Dans un article publié fin juin, 300 experts de 23 États membres livraient leur analyse de la Pac 2023-27. Hervé Guyomard, chercheur à l’Inrae, était parmi eux. Pour Référence agro, il revient sur ce travail et défend son originalité et son utilité. Entretien.

« Associer les chercheurs des États membres pour éclairer les politiques européennes », Hervé Guyomard, Inrae
« Associer les chercheurs des États membres pour éclairer les politiques européennes », Hervé Guyomard, Inrae

Référence agro : Vous faites partie des 300 experts européens ayant proposé une analyse des effets de la prochaine Pac sur la biodiversité. Quel poids pensez-vous que le rapport a eu dans les négociations européennes ?

Hervé Guyomard : Il est clair que le calendrier n’a pas été idéal. Les ateliers organisés en France se sont déroulés entre octobre 2020 et février 2021, à une période encore très marquée par le Covid. Le rapport a été présenté à la Commission en octobre 2021, deux petits mois avant que les versions 1 des plans stratégiques nationaux ne soient envoyés à Bruxelles. Nous n’avons donc pas pu analyser les PSN, et dans l’autre sens, les États membres n’ont guère eu le temps de se pencher sur nos travaux avant de finaliser leur copie.

R.A. : N’est-il pas dommage que la science n’ait pu apporter son éclairage sur ce lien Pac-biodiversité un peu plus en amont ?

H.G. : Je pense que ce travail va être utile malgré tout. A minima, il va être assimilé et pris en compte pour la prochaine mouture de la Pac qui, très vraisemblablement, interviendra vite. Je note des signaux positifs. Ce rapport est le fruit d’une démarche impulsée par les chercheurs eux-mêmes, en l’occurrence des scientifiques allemands spécialistes de la biodiversité. La Commission nous a encouragée à développer ce travail et y a prêté attention. Lors de la restitution, des figures importantes étaient présentes, dont le directeur de cabinet du vice-président de la Commission Frans Timmermans, et des responsables de plusieurs directions, dont la DG Agri et la DG Environnement. Pour autant, la Pac couvre des domaines très larges et évolue essentiellement par petits pas successifs.

R.A : Sur la méthode, quelle est votre vision de ce type de démarche collaborative entre États membres ?

H.G.  : Ce travail spécifique entre dans le cadre de recherches continues aux échelles de l’Union européenne et des différents États membres, en appui aux politiques publiques, et plus spécifiquement ici, la Pac. Il est important de les inscrire dans la durée, notamment pour anticiper les besoins futurs d’éclairage de nouvelles problématiques par la recherche. De plus, l’association de chercheurs d’un maximum d’États membres est cruciale, ne serait-ce que pour analyser ce qui est général, de portée européenne, ou spécifique à tel ou tel pays.

R.A. : Au niveau français, avez-vous pu diffuser les conclusions de ce rapport ?

H.G.  : En France, le lien entre Inrae et les ministères est bien établi, structuré. Nous sommes, en particulier, régulièrement consultés par les services du ministère de l’Agriculture, notamment la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE). Au-delà de réunions bilatérales et de travaux spécifiques, nous participons aux réunions de co-construction du PSN ouvertes à l’ensemble des parties prenantes. Nous avons donc beaucoup d’occasions de présenter aux pouvoirs publics les enseignements de la recherche, ce qu’elle peut dire compte tenu de l’état des connaissances, mais aussi ce que l’on ne sait pas. Ce rapport est une pierre de plus dans l’ensemble des connaissances.

R.A. : Sur le fond, quels grands messages retenez-vous de cette expertise ?

H.G. : Des consensus très clairs ont émergé. Le rôle essentiel des infrastructures agroécologiques, et ceux de leur connectivité dans l’espace et de leur continuité dans le temps, fait l’unanimité. Certes, le rapport ne fait ici que confirmer un fait déjà connu et documenté : il incombe à la recherche d’aller plus loin maintenant, notamment en précisant les impacts de ces infrastructures sur toutes les dimensions de la durabilité. Pour piloter les PSN et notamment les écorégimes, nous avons besoin d’indicateurs d’impacts. Il faut mettre du concret sur la chaîne causale entre les instruments politiques, les changements de pratiques ainsi induits et leurs impacts. Avec un point de vigilance majeur : ne pas fermer les yeux sur les dilemmes que l’on crée. Mieux préserver l’environnement peut avoir un impact économique négatif, une pratique favorable à la biodiversité peut être négative pour le climat, etc. C’est en ayant le courage de poser ces dilemmes sur la table sans les cacher sous le tapis qu’il sera possible de prendre les décisions en toute connaissance, et peut-être même de les contourner par des mesures adaptées.