Diversité végétale, des effets reconnus mais une rentabilité contrastée et des verrous à faire sauter
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Des bénéfices indéniables, mais une rentabilité contrastée, et difficile à évaluer en raison des multiples paramètres en jeu : c’est l’idée mise en avant lors de la restitution de l’expertise collective « Augmenter la diversité végétale des espaces agricoles pour protéger les cultures », le 18 avril 2023, quelques mois après la présentation de premiers résultats. Le manque de recul sur l’efficacité de la pratique et les recherches à mener ont été plusieurs fois soulignés.
Meilleure protection des cultures, action favorable à la biodiversité, stabilisation des rendements… Les effets bénéfiques de la diversité végétale font aujourd’hui consensus. Sur le plan économique, les constats seraient cependant un peu plus nuancés. C’est ce qu’ont expliqué les coordinateurs de l’expertise collective, Esco, « Augmenter la diversité végétale des espaces agricoles pour protéger les cultures » (voir encadré), lors d’une restitution organisée le 18 avril 2023. Celle-ci faisait suite à une première présentation, moins détaillée, des résultats de ces travaux, en octobre dernier. « Au moins à court terme, nous observons des effets contrastés sur la rentabilité économique des exploitations », indique Vincent Martinet, co-pilote scientifique de l’Esco.
Anticipation complexe de la rentabilité des systèmes diversifiés
Les travaux soulignent ainsi des effets divers en fonction de nombreux paramètres (rendement, débouchés, prix des intrants, etc.) et donc une anticipation complexe de la rentabilité des systèmes diversifiés. « Nous manquons de données sur des cas en situation réelle ou sur les effets de long terme, poursuit Vincent Martinet. La multiplicité des effets est par ailleurs peu prise en compte. »
Pour y voir plus clair, les chercheurs plaident pour la réalisation de travaux pluriannuels, dépassant l’étude de la rentabilité d’une culture sur une année, intégrant les bénéfices collectifs et les services rendus à la société. « En pratique, il est encore difficile de reconstituer la chaîne de causalité entre l’action d’un bioagresseur et les pertes économiques », note pour sa part Anaïs Tibi, coordinatrice de l’Esco. Quelques tendances, notamment en grandes cultures, permettent néanmoins à la diversification d’être plus « performante » sur le plan économique : un contexte de forte pression bioagresseurs, les systèmes à bas niveaux d’intrants, des prix de production bas ou des coûts des intrants élevés, la valorisation de la production dans des niches économiques.
Manque de recul sur l’efficacité de la diversité végétale
Si le consensus est établi sur le rôle joué par la diversité végétale pour protéger les cultures, de nombreux points restent encore à éclaircir. « La diversification végétale est annoncée comme un pilier de la transition agroécologique, mais nous manquons de visibilité et de recul sur son efficacité, malgré une littérature scientifique abondante », résume Anaïs Tibi. Les travaux révèlent ainsi des lacunes en termes de connaissances sur certains bioagresseurs, comme les organismes du sols, ou les cultures maraîchères, peu étudiées. « Ces cultures sont utilisées pour la diversification, mais on ne sait pas encore comment les diversifier elles-mêmes », indique Aude Vialatte, directrice de recherche Inrae.
Des manquements sont également signalés en matière de combinaisons de leviers, pour faire du « multipest », autrement dit s’attaquer à différents bioagresseurs en même temps. « Or, c’est ça qui nous attend à l’avenir », prévient Aude Vialatte. Cette dernière rappelle également que les conditions d’études suivent le modèle conventionnel, ce qui ne serait pas, selon elle, « en cohérence » avec la diversification.
Un fossé entre les préconisations et le terrain
De manière plus générale, l’Esco note que des verrous idéologiques, hérités de la spécialisation des territoires, sont encore à lever. Cela se traduit, à l’amont, par des difficultés d’approvisionnement en semences performantes dans des systèmes diversifiés ou, à l’aval, par un manque de débouchés. « La littérature scientifique est encore insuffisante pour hiérarchiser ces verrous, nous manquons de données sur le comportement des consommateurs par exemple », note Vincent Martinet.
Pour accompagner ces efforts, les chercheurs insistent sur l’importance de la coordination territoriale et des politiques publiques ambitieuses pour « sortir des verrouillages systémiques de l’agriculture conventionnelle », assure l’Esco. D’autant plus que la marche à gravir n’est pas des moindres. « Le fossé à combler entre les préconisations, en ce qui concerne la diversité végétale, et la situation actuelle, est conséquente, souligne Aude Vialatte. Des changements majeurs sont à engager, qui ne pourront pas se faire seulement à la marge. »
Les six enseignements de l’Esco sur la diversité végétale
- La diversification végétale des parcelles et des paysages et un levier pour protéger les cultures.
- La diversité végétale est favorable à la biodiversité et rend d’autres services écosystémiques.
- Un lien positif existe entre la diversité végétale et le rendement.
- Des effets contrastés sur la rentabilité économique au moins à court terme.
- Des verrous à lever au sein des filières agricoles et dans les territoires.
- Des politiques publiques ambitieuses nécessaire pour un déploiement à large échelle.