La compensation écologique dans le secteur agricole, une imparfaite « logique d’opportunité »
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Dans leur étude publiée en décembre 2023, les chercheuses Stéphanie Barral (Inrae) et Fanny Guillet (CNRS) ont étudié l’application des mesures de compensation écologique sur des parcelles agricoles dans six régions de France. Et contredisent l’idée que ces mesures favoriseraient la transition agro-écologique.
Appliquée en France depuis 2007, l’évaluation environnementale impose aux projets d’aménagement de limiter leurs effets sur la biodiversité. Cette obligation se résume par un crédo en trois volets : éviter, réduire, compenser. Les mesures de compensation, le plus souvent réalisées en milieu semi-naturel, concernent, dans un cas sur cinq, des terres agricoles, qu’elles soient exploitées ou en déprise. Les organisations du secteur agricole, très critiques lors de l’entrée en vigueur de la réglementation, s’en sont accommodées avec le temps, jusqu’à vouloir en tirer parti. « Compte tenu des intérêts en jeu et des opportunités économiques, les Safer (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) et chambres d’agriculture ont progressivement développé leur propre offre de services, centrée sur la veille foncière, l’identification d’agriculteurs gestionnaires de mesures compensatoires, la rédaction de cahiers des charges, la contractualisation, le suivi », détaillent les chercheuses Stéphanie Barral, de l’Inrae, et Fanny Guillet, du CNRS, dans leur analyse publiée en décembre 2023 .
Quatre modes d’opération sur les parcelles exploitées
Cette offre de services, quasi-institutionnalisée dans certaines régions comme l’Occitanie ou les Hauts-de-France (où des guides techniques, des chartes d’engagement et des centres d’information ont été instaurés), a contribué à mettre en avant une préférence pour une « mobilisation de foncier non agricole ». Comprenez : une parcelle non productive ou en friche, dans des zones à forte productivité ainsi que celles en déprise. De telles initiatives sont plus rares dans les autres régions étudiées (Île-de-France, Bourgogne Franche-Comté), où la mise en œuvre de la compensation se fait « davantage au cas par cas ». Lorsqu’elles concernent les parcelles exploitées, les mesures compensatoires peuvent être regroupées sous quatre modes d’opération : la fauche tardive (après la période de nidification), le pâturage extensif, la conversion d’une culture en prairie (soit la plantation d’une prairie, permanente ou semi-permanente, sur une terre initialement dédiée aux grandes cultures et donc labourée), et la plantation de haies ou de bandes enherbées. « Dans la plupart des cas, le changement de pratiques entraîne une diminution de la productivité, ce qui peut rebuter les exploitants, mais aussi être mis en avant pour justifier la rémunération », font savoir Stéphanie Barral et Fanny Guillet.
L’étude des deux chercheuses souligne ainsi deux facteurs majeurs des négociations entre aménageurs et intermédiaires : le foncier et le profil agricole régional (orientations productives, dynamique d’artificialisation, etc.). « Ils se conjuguent pour créer deux modèles, pareillement imparfaits, de compensation », sont-ils décrits. Le premier d’entre eux est celui d’un compromis de long terme mais de faible efficacité écologique : « Il correspond globalement à la mise à disposition de foncier, au profit d’un éleveur qui y fait de l’élevage extensif, souvent déjà en gestion agro-écologique ou ouvert aux pratiques relevant des Maec. Le changement de pratiques est alors anecdotique et la plus value écologique, faible ». Le second modèle, quant à lui, est celui d’une compensation robuste, sur des parcelles exploitées : « Le changement de pratiques est donc conséquent, il génère d’importants gains écologiques, surtout quand sont remises en prairie des terres cultivées. En revanche, les conventions sont généralement de plus courte durée (cinq à 30 ans) ». Ce qui fait dire aux auteures que la participation du secteur agricole à la compensation écologique suit, avant tout, « une logique d’opportunité ».
La compensation, « rarement un renouvellement du système global de l’exploitation »
Ces cas de figure les amènent à un constat en demi-teinte : « L’engagement dans la compensation se présente très rarement comme un renouvellement du système global de l’exploitation, ce qui remet en question l’hypothèse selon laquelle ce type de dispositifs est favorable à la transition agro-écologique, écrivent les auteures en conclusion. Il semble donc souhaitable de mieux articuler les objectifs de la politique publique de compensation avec les logiques agronomique et économique de l’agriculteur, fournisseur de services écosystémiques ».