« Pour adapter les plantes à la sécheresse, il va falloir travailler la tolérance au froid », Philippe Gate, Académie d’agriculture
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Si la contribution et l’adaptation à la lutte contre le changement climatique de l’agriculture a déjà fait l’objet de nombreuses études, Philippe Gate, membre de l’Académie d’agriculture et ancien directeur scientifique d’Arvalis-Institut du végétal, nous livre une réflexion futuriste et hors des sentiers battus du chemin que pourraient prendre les productions de grandes cultures dans les prochaines années. Il insiste également sur les opportunités qui s’offrent aux céréaliers.
Référence agro : Quelles sont pour vous les meilleures pistes pour réduire durablement l’utilisation d’azote, un des postes les plus émetteurs de gaz à effet de serre en production végétale ?
Philippe Gate : Pour un même niveau de besoin en azote, l’efficience varie selon un facteur dix entre les espèces. Les plantes qui ont des organes souterrains, comme la betterave ou la pomme de terre, ont de très bonnes efficiences. A contrario, le colza et le tournesol, plutôt destinés à produire de l’huile, sont faiblement efficients en azote. Cela doit nous questionner de manière prospective. Par exemple, est-ce que nous ne pourrions pas imaginer faire de la farine avec des plantes qui ont des tubercules, comme le manioc ?
Les débouchés ont par ailleurs un poids majeur sur les apports d’azote du fait du lien étroit entre le besoin en azote pour produire et la teneur en protéine. Or, si nous réfléchissons bien, nous pouvons réduire les teneurs en protéines des grandes cultures. 98 % des blés français cultivés actuellement sont des blés panifiables supérieur, BPS, adaptés à la meunerie, alors qu’une bonne partie est destiné à l’alimentation animale, ou à d’autres usages comme les biscuits ou l’amidonnerie, qui n’ont pas besoin de ces teneurs en protéines ! C’est incohérent vis-à-vis des marchés. Autre exemple : le blé dur pour les pâtes a généralement une teneur en protéines de 14 % alors qu’elle pourrait être à 12 %. Ces points génèrent un fardeau pour les sélectionneurs, car l’amélioration du rendement est alors plus lente. Ils contraignent également les agriculteurs à parfois fertiliser au-delà de l’optimum pour le rendement.
Au niveau des pratiques, l’intégration des légumineuses, qui fournissent gratuitement de l’azote dans la rotation, en interculture ou en culture associée, peut faire gagner jusqu’à 100 kilogrammes d’azote par hectare. C’est très significatif. Toutefois, cette valeur moyenne varie fortement, de quelques kilos à 140 kg/ha, car elle est inféodée au changement climatique.
RA : Quel est l’apport de la génétique ?
P.G. : Elle joue sur trois tableaux. D’une part, des variétés moins gourmandes en azote peuvent permettre d’économiser 40 à 50 kg N/ha. D’autre part, certaines sont plus aptes à faire des protéines à même dose d’engrais : on peut alors réduire de 15 kg N/ha. Enfin, certaines variétés perdent peu de rendement en conditions suboptimales de fertilisation : il est possible d’aller encore chercher 20 kg /ha. Reste à savoir si ces axes, qui limitent l’usage d’azote, sont cumulables, au moins partiellement. Les sélectionneurs doivent s’emparer de cette question.
Le progrès génétique contribue déjà beaucoup à l’adaptation des plantes au changement climatique. Si nous avions les mêmes variétés qu’en 1995, le rendement de toutes les grandes cultures diminuerait. C’est ce progrès génétique qui a permis de maintenir les rendements. Il est actuellement possible de gagner cinq quintaux par hectare en blé et sept en maïs avec des plantes résistantes à la sécheresse.
R.A. : Quelles sont les autres innovations qui vous paraissent pertinentes pour réduire l’impact des grandes cultures sur le climat ?
P.G. : Généralement, on ne met en avant que la réduction des doses d’engrais. Mais d’autres solutions existent. Les inhibiteurs d’uréase ou de nitrification, qui aident la plante à absorber l’azote de manière plus fluide, peuvent réduire les émissions de N2O de 20 à 40 %. Par ailleurs, grâce au gain d’efficience apporté par les strobilurines, il avait été démontré qu’il était possible de baisser la dose de 40 kg/ha tout en conservant le rendement. Les nouveaux outils de pilotage de l’azote permettent également de diminuer les émissions en apportant l’azote à des moments où la plante est capable de l’absorber rapidement.
Dans une vision plus futuriste, nous pourrions utiliser l’ingénierie des micro-organismes pour passer l’étape N2O dans le cycle de l’azote, et aller jusqu’à l’étape naturelle et terminale N2, le diazote, qui n’est pas un gaz à effet de serre. Nous pourrions tendre vers du N2 dans les sols en modifiant les populations bactériennes par l’utilisation de futurs produits et de pratiques agronomiques.
R.A. : Vous insistez sur le fait que le changement climatique offre des opportunités certaines aux céréaliers. Lesquelles ?
P.G. : Les agriculteurs doivent profiter de l’offre thermique supérieure. Les températures deviennent optimales pour certaines espèces, ce qui accroît les possibilités de diversification des exploitations. Par exemple, nous pouvons cultiver du sorgho ailleurs que dans le sud. D’ailleurs, l’Indre-et-Loire est aujourd’hui le premier département producteur de sorgho.
Cette hausse des températures ouvre également la possibilité d’innover dans les dates de semis. Lesquelles peuvent être plus précoces pour les espèces semées au printemps. Mais cela demande de travailler la tolérance au froid. Paradoxalement, pour adapter les plantes à la sécheresse, il va falloir travailler la tolérance au froid des variétés !
À l’inverse, nous pouvons semer à l’automne des plantes que nous semions au printemps. C’est le cas de l’orge, où, dans certaines régions, la moitié est semée à l’automne : 100 % pourraient l’être à l’avenir car cette pratique optimise et stabilise les rendements. Elle réduit aussi les nuisances de certains bioagresseurs.
Enfin, il est possible de pratiquer le relay-cropping, c’est-à-dire semer avant la récolte de la culture qui précède, et réaliser
. Un exemple : du sorgho après une orge. À l’avenir nous pourrions avoir des variétés adaptées à ces pratiques.Mais tout cela demande aussi de revoir nos modélisations pour apporter les meilleurs outils d’aide à la décision à nos agriculteurs.