Prosulfocarbe : l’Anses prononce un sursis
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À l’occasion d’une conférence de presse organisée le 3 octobre, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a durci les conditions d’utilisation du prosulfocarbe, tout en exigeant des études complémentaires des fabricants. Une interdiction pourrait être prononcée en juin.
« Nous mettons en place un dispositif que l’on pourrait qualifier de sursitaire », résume Charlotte Grastilleur, directrice du pôle produits réglementés de l’Anses, à l’occasion d’une conférence de presse organisée le 3 octobre. Comme l’agence l’a notifié aux fabricants le jour-même, les conditions d’utilisation du prosulfocarbe seront durcies à partir du 1er novembre. Pour épandre cette molécule, deuxième herbicide le plus utilisé en France derrière le glyphosate, les agriculteurs devront désormais utiliser des buses garantissant une réduction de 90 % de la dérive, ou respecter une distance d’épandage de 20 m par rapport aux habitations. Les doses maximales devront par ailleurs être réduites de 40 % par rapport aux doses préconisées par les firmes. « Les étiquetages sont prévus dès aujourd’hui, et il y aura aussi une logique d’information immédiate des agriculteurs » , détaille Charlotte Grastilleur.
Le couperet de l’interdiction, pas encore écarté
Mais au-delà de ce durcissement, le couperet de l’interdiction menace encore le prosulfocarbe. Car durant la période probatoire s’étalant entre le 1er novembre prochain et le 30 juin 2024, les industriels devront prouver par de nouvelles études que ces précautions suffisent à protéger les riverains. Si les éléments fournis ne convainquent pas les experts, l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pourrait alors être retirée. « Nous avons quelques mois pour confirmer les données des calculs avec des essais de terrain », prévoit Charlotte Grastilleur.
La sévérité de l’Anses s’explique par les résultats d’une saisine lancée en 2022, et qui vient de livrer ses résultats. En considérant une application de prosulfocarbe avec des buses réduisant de 50 % la dérive, l’agence estime que l’exposition cutanée d’un enfant se situant à moins de 10 m d’une parcelle atteindrait jusqu’à cinq fois la dose d’exposition sans risque (AOEL) dans un champ de pomme de terre. Un chiffre d’autant plus inquiétant que les calculs ont été menés avec une dose réduite de 40 % par rapport aux doses recommandées commercialement. Cette inquiétude spécifique sur les enfants fait par ailleurs écho aux alertes des familles de la plaine d’Aunis, en Charente, qui soupçonnaient en lien entre les fortes concentrations en prosulfocarbe dans l’air, et la recrudescence de cancers pédiatriques.
Des allures d’ultimatum, selon l’UNPT
Face à ces résultats, Charlotte Grastilleur l’assume : « Nous sommes en avance de phase par rapport à nos homologues européens. » Car le prosulfocarbe, rappelle-t-elle, a bénéficié d’une prolongation de son autorisation jusqu’en 2027 au niveau communautaire, en l’attente des résultats de l’étude de ré-approbation menée par le Portugal. Officiellement, la molécule est donc toujours autorisée dans le reste de l’Union Européenne, sans même avoir besoin de régime dérogatoire. La directrice de l’Anses prévoit donc de fournir les récents travaux à ses homologues européens, afin d’accélérer l’harmonisation de la réglementation.
Depuis les alertes lancées en 2016 par Syngenta et la DGAL sur des contaminations de cultures non-ciblées par des traitements, les agriculteurs savaient que la molécule était dans le viseur des autorités. Alors que près de 70 % de surfaces de pomme de terre sont traitées avec du prosulfocarbe, l’Union nationale des producteurs de pomme de terre (UNPT), interrogée par Référence agro, s’estime donc « satisfaite » du délai de grâce accordé par l’agence. « Les impératifs de la filière ont été pris en compte. Il aurait été impensable que la molécule soit directement interdite alors que les autres pays européens peuvent continuer à l’utiliser », souligne-t-on au sein de l’association spécialisée de la FNSEA. Mais l’exigence de fournir de nouvelles études d’ici juin 2024 a « des allures d’ultimatum », regrette-t-on à l’UNPT. « Tout dépendra du taux de couverture des études, des conditions de la campagne, sans compter le temps de traitement des données », précise encore la source Référence agro, avant de conclure que cette mesure « met clairement une pression supplémentaire ».
Une demi-mesure, selon Générations futures
L’association Générations Futures regrette en revanche que l’agence ne soit pas allée plus loin. « Comment la mise en place de ces décisions sera-t-elle contrôlée ? Est-on certain que la distance de 20 mètres suffira à faire diminuer suffisamment l’exposition des riverains ? Les nouvelles études demandées par l’Anses seront réalisées par les industriels eux-mêmes ? », s’interroge l’ONG dans un communiqué. Face aux résultats de la saisine, le porte-parole de l’ONG François Veillerette exige donc de « retirer les AMM des pesticides contenant [la molécule] le plus vite possible ». Et de prévenir qu’il étudie « dès aujourd’hui, avec ses avocats, toutes les pistes pour attaquer cette autorisation au niveau européen dans les prochaines semaines » .