Semences, recherche, décarbonation… la filière blé dur se bat pour exister
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Alors que les surfaces de blé dur ont diminué de moitié en une décennie, les acteurs de la filière travaillent en concertation. Génétique, agronomie, transformation, plusieurs leviers permettraient de relancer la production de blé dur, tout en la décarbonant. Semenciers, instituts techniques, coopératives, industriels travaillent ensemble pour trouver des solutions.
C’est une baisse drastique et régulière, qui alarme la filière. Les surfaces de blé dur en France ont diminué de plus de la moitié en un peu plus de dix ans. À 505 000 hectares en 2010, la sole est passée à 236 000 ha environ pour la campagne actuelle, d’après Arvalis. En 2023, la production était à son niveau le plus bas en 25 ans, à 1,3 Mt environ. Une baisse qui s’explique par les aléas climatiques à répétition, la concurrence du blé tendre, les impasses techniques liées aux interdictions de produits phytosanitaires, les cours des engrais qui impactent les charges des agriculteurs, mais aussi par la génétique.
Les semences de ferme mettent en péril la R&D des obtenteurs
Un nombre croissant d’agriculteurs utilise des semences de ferme pour économiser, en moyenne, 50 % sur leurs charges semences. Or, c’est l’achat de variétés certifiées qui permet de financer la recherche, via les royalties. « Le taux d’utilisation des semences certifiées est aujourd’hui légèrement supérieur à 40 % », estime François Desprez, directeur de Florimond Desprez, l’un des deux derniers sélectionneurs de blé dur, avec RAGT Semences. D’après Arvalis, le retour sur investissement de la semence certifiée atteint 2,5 M€, alors que Florimond Desprez et RAGT investissent 5 M€ en R&D pour le blé dur.
C’est cet investissement à perte qui explique le désengagement des autres obtenteurs, neuf initialement. « Un cercle vicieux s’est mis en place, explique Sébastien Chatre, directeur général adjoint de RAGT Semences. Les agriculteurs seraient prêts à réinvestir dans la semence certifiée en blé dur si nous leur apportions de nouvelles technologies en termes de résistance aux stress abiotiques ou aux maladies, mais nous n’avons pas les moyens de financer la R&D. » Selon François Desprez, « une solution serait que les industriels, via les contrats passés avec la distribution, intègrent dans leurs cahiers des charges le recours aux semences certifiées ».
Contractualisation, assurance, construction des prix, la filière réfléchit
La contractualisation, nécessaire pour mettre en place de telles mesures, constitue d’ailleurs l’un des volets d’un plan de relance du blé dur piloté par Intercéréales et porté par toute la filière, des obtenteurs aux pastiers, en passant par les distributeurs. « Si nous étions à 50 % de contractualisation, cela serait déjà sécurisant » pointe Frédéric Gond, administrateur d’Axéréal et président du comité de pilotage de la Filière Blé Dur. Mais la contractualisation n’est pas toujours suffisante pour assurer la pérennité d’une culture. « Nous avons perdu 90 000 ha de blé dur en dix ans, alors même que nous disposons d’un contrat de filière avec Panzani », déplore ainsi Jean-François Naudi, président d’Arterris. La coopérative travaille avec le pastier à l’élaboration d’un cahier des charges blé dur durable, pour aller chercher de la valeur auprès du consommateur.
Au-delà de la contractualisation, « tous les acteurs de la filière se sont mis en ordre de bataille, explique Frédéric Gond. Nous travaillons sur un ensemble de sujets pour relancer le blé dur. Par exemple, les assurances, qui fonctionnent sur le quantitatif, donc la compensation d’une perte d’un volume, mais pas sur le qualitatif. Or le blé dur est sensible : lorsque la qualité n’est pas au rendez-vous malgré les efforts de l’agriculteur, cela dégrève le résultat. Nous pourrions imaginer des dispositifs comme le fond de mutualisation sanitaire qui existe en élevage. Nous réfléchissons aussi à des mécanismes de construction des prix, dans l’esprit de la loi Egalim. »
Un projet de recherche pour décarboner la production de blé dur
Autre volet de ce plan de filière, la décarbonation, qui répond aux attentes des industriels, des consommateurs et des politiques. « 80 % de l’empreinte carbone de la filière est liée à la production, explique Matthieu Killmayer, animateur de la filière blé dur chez Arvalis. Sur ces 80 %, les deux tiers sont dus à la fertilisation azotée, via la production d’engrais et les émissions au champ. » Plusieurs leviers ont été identifiés pour réduire cet impact : utiliser des engrais renouvelables, encore peu répandus et plus chers, ajouter des inhibiteurs d’uréase, piloter l’azote, ou encore réduire les apports en azote dans les champs. Pour ce faire, un éventail de pratiques agroécologiques sont testées : couverts, légumineuses, matières organiques, changements de rotations. « Cela requiert de la part des agriculteurs et des technico-commerciaux une technicité beaucoup plus fine, et une approche exploitation par exploitation » reconnaît Matthieu Killmayer.
Problème : limiter l’azote revient souvent à limiter les taux de protéine de blé. Or, en dessous de 13 à 14 % de protéine, le blé dur ne tient pas à la cuisson, et le mitadin, une dégradation du grain entraînant des pertes pour les industriels, est plus important. « Ce que nous avons découvert, c’est que le taux de protéines n’est pas seulement lié à l’apport d’engrais, mais aussi à la génétique et au moment de l’absorption de l’azote et du remplissage du grain » explique Matthieu Killmayer. Les chercheurs ignorent encore pour le moment quelles sont les conditions optimales d’absorption, mais estiment que ce timing compte pour 30 % dans la qualité des protéines, à égalité avec la génétique et la dose d’engrais.
Dans le viseur : le soutien du ministère
Un projet de recherche vise à explorer cette piste. « Mais nous essayons de trouver un financement depuis deux ans » regrette Matthieu Killmayer. Le montant nécessaire pour la mise en place du projet dépasse les enveloppes du Casdar et du Fonds de soutien à l’obtention végétale, et le projet, à la croisée de la recherche fondamentale, de la recherche appliquée et de l’agronomie, peine à trouver une case dans les programmes de financement existants. Tous les acteurs de cette filière chahutée mais bien structurée militent en faveur de ce dispositif, et plus généralement, des initiatives soutenant la relance du blé dur. Intercéréales, les semenciers et les industriels ont été reçus début janvier par le ministre de l’Agriculture. Des réponses sont attendues dans les semaines à venir.