Référence agro

Sival, les stratégies d’approvisionnement des distributeurs chamboulées

Le | Cooperatives-negoces

Alors que le Sival est traditionnellement axé sur les innovations en matière de biosolutions, les préoccupations ont, cette année, porté davantage sur l’impact de la situation internationale sur les intrants et la hausse des prix. Les stratégies d’approvisionnement en fertilisants et produits phytosanitaires sont chamboulées. Comment la distribution réagit-elle ? Quelles conséquences sur le lien avec les fournisseurs et les agriculteurs ? Quelles places pour les produits de biocontrôle et les biostimulants ? Réponses dans les stands et les allées du Salon des cultures spécialisées.

Sival, les stratégies d’approvisionnement des distributeurs chamboulées
Sival, les stratégies d’approvisionnement des distributeurs chamboulées

Ce ne fut pas un Sival comme les autres. Pour la première fois, le salon des cultures spécialisées se tenait à Angers en mars, du 15 au 17, au lieu de janvier pour cause de crise sanitaire. Un décalage qui a empêché certains viticulteurs de faire le déplacement, trop pris par les travaux dans les parcelles.  Mais c’est surtout la situation internationale qui est venue détourner le traditionnel objectif du Sival, celui d’un salon axé sur les biosolutions.

Un contexte inédit

[caption id=« attachment_104571 » align=« alignright » width=« 360 »]

Sival, les stratégies d’approvisionnement des distributeurs chamboulées - © D.R.
Sival, les stratégies d’approvisionnement des distributeurs chamboulées - © D.R.

Le négoce Saboc, filiale d’UAPL, avait un stand commun avec deux partenaires sur les solutions alternatives : Stoller en biostimulants et Alltech en biocontrôle. Laurent Fonteneau, responsable vigne, et Stéphane Bidet, responsable arboriculture, chez Saboc.[/caption]

Certes, le nouveau village du biocontrôle enfonçait le clou sur son orientation prise depuis plusieurs années, mais très vite les échanges entre distributeurs et fournisseurs ont tourné autour de la guerre en Ukraine et de la crise sanitaire. Les impacts pour les distributeurs sont forts. « J’ai vécu les subprimes qui avaient provoqué une forte inflation sur les approvisionnements, mais là c’est d’un autre niveau et concerne tous les circuits d’appro connectés à l’économie mondiale, indique Claude Bizieux, directeur général adjoint de la CAMN. Sur les phytos, le manque d’un seul coformulant ou la baisse de disponibilité d’emballage affectent la commercialisation du produit. »

Hausse des prix, manque de produit…la situation est inédite, même pour les plus expérimentés dans le métier. « En 25 ans d’expérience, je n’ai jamais vécu une telle tension, ni une telle hausse de prix qui concernent tous les intrants, mais aussi les bouteilles, les cartons. C’est très anxiogène pour nos clients », reconnaît Laurent Fonteneau, responsable vigne chez Saboc, filiale d’UAPL.

L’anticipation comme solution principale

Face à cette situation, comment réagissent les distributeurs ? Un maître mot : l’anticipation. « Nous anticipons le plus possible avec un plan d’approvisionnement sur la saison et un calendrier de livraison, explique Claude Bizieux. Sur nos conseils, les producteurs construisent un stock de sécurité : nous avons donc une forte avance dans nos ventes. » Saboc a demandé à ses clients de sécuriser vite leurs approvisionnements notamment sur les anti-mildiou et anti-oïdum de la vigne. « C’est la seule bonne solution que je vois actuellement, poursuit Laurent Fonteneau. Les plans de fertilisation ont été réalisés dès septembre et octobre alors qu’ils sont habituellement faits en hiver. Dès la fin des vendanges, il faudrait maintenant se positionner sur 70 % des besoins en intrants. » Eureden incite les agriculteurs à acheter dès le début de la campagne. « Nous n’avons pas de vraies solutions, alors nous insistons auprès de nos adhérents sur le fait que nous ne sommes pas sûrs d’avoir le produit au cours de la campagne et que nous avons régulièrement des ruptures d’approvisionnement », explique Daniel Dantec, animateur des fermes 30 000 à Eureden.

Des stocks de sécurité

[caption id=« attachment_104572 » align=« alignleft » width=« 360 »]

Sival, les stratégies d’approvisionnement des distributeurs chamboulées - © D.R.
Sival, les stratégies d’approvisionnement des distributeurs chamboulées - © D.R.

«  Certains producteurs de pois ou de haricots pourraient s’orienter vers du maïs pour augmenter leurs marges » : Daniel Dantec, animateur des fermes 30 000 à Eureden[/caption]

Les achats ont également été anticipés très vite chez LVVD, filiale viticole de Terrena. « Nous pensions stocker, mais 80 % des achats se sont faits à l’automne chez nos clients, indique Xavier Besson, responsable activité vigne chez LVVD. C’est inédit, nous n’avons pas eu de rupture, mais la question est totale pour la prochaine campagne. » Le Sival était donc l’occasion de s’entretenir avec les fournisseurs pour les prochains mois. « C’est le grand flou, poursuit Xavier Besson. Alors nous allons encore anticiper et s’engager tôt sur des volumes. Sur les produits phytosanitaires, si c’est une année normale, il ne devrait pas y avoir de problème, mais si la pression maladie est forte, cela risque d’être compliqué. Pour les fertilisants, nous allons stocker dès cet été pour la prochaine campagne. » Une stratégie semblable à la CAMN : « Nous avons augmenté de 20 % notre stockage de sécurité pour répondre aux aléas, progressivement depuis l’été, explique Claude Bizieux. Cela a été précieux. »

Des partenariats plus complexes

Les partenariats avec les fournisseurs ont évolué. « La pression est importante : nous devons nous positionner rapidement sur des lots, qui sont à prendre ou à laisser, et sans avoir de visibilité, poursuit le directeur adjoint de la CAMN. Certains fournisseurs nous donnent des informations marché afin d’acheter au meilleur prix possible du moment, dans un contexte de forte volatilité des cours. Cela renforce les liens avec eux mais la négociation reste difficile. »

Le responsable vigne chez Saboc reconnaît les niveaux de tension avec les fournisseurs. « Mais nous avons pu mesurer la réactivité de certains qui nous tiennent informés de la situation du marché, c’est crucial pour nous », indique-t-il.

L’usage d’engrais organique pourrait se développer. « Depuis longtemps, nous travaillons quand cela est possible sur du sourcing local pour la fertilisation organique, indique Claude Bizieux. Si par effet domino, c’est aussi en tension, l’inflation est moins forte que sur les engrais minéraux. » LVVD pointe un autre risque en Pays-de-la-Loire : « La grippe aviaire va poser un problème de disponibilité de matière première pour les fertilisants organiques, dont les prix ont déjà augmenté de 15 à 20 % », explique Xavier Besson.

Une inflation sur tous les intrants

L’inflation se vérifie sur tous les intrants. « Depuis un an, nous observons une amplification des inflations qui sont variables selon les produits, indique le directeur adjoint de la CAMN.  Des engrais minéraux augmentent de 80 à 120 % voire nettement plus pour certains. Des amendements et engrais organiques affichent des hausses parfois de plus de 30 % pour certaines spécialités de qualité. Les produits phytosanitaires ne sont pas en reste : cela va de quelques pourcentages à des multiplication par deux ou trois pour les spécialités à base de glyphosate. Cette inflation des phytosanitaires a gommé une éventuelle baisse des prix envisagée par certains acteurs du fait de la séparation de la vente et du conseil des phytos. »

Des producteurs face à des choix

[caption id=« attachment_104573 » align=« alignright » width=« 360 »]

Sival, les stratégies d’approvisionnement des distributeurs chamboulées - © D.R.
Sival, les stratégies d’approvisionnement des distributeurs chamboulées - © D.R.

« Pour les fertilisants, nous allons stocker dès cet été pour la prochaine campagne » : Xavier Besson, responsable activité vigne à LVVD  ici devant un robot de désherbage d’Agreenculture. Les prototypes sont testés sur 14 hectares pour une commercialisation en 2024[/caption]

Au bout de la chaîne, les agriculteurs se demandent comment répercuter la hausse. « Ils ont clairement du mal à le faire sauf ceux qui commercialisent en vente directe, reconnaît Claude Bizieux. La trésorerie commence à être délicate. » Eureden conseille d’intensifier les pratiques pour sécuriser la production. « Cela va à l’encontre de la baisse des IFT. Mais avec la hausse des intrants et celle des cours des céréales, les producteurs de grandes cultures doivent assurer la production », reconnaît Daniel Dantec. Il craint cependant de voir des assolements évoluer : « Avec l’envolée des cours, certains producteurs de pois ou de haricots pourraient s’orienter vers du maïs pour augmenter leurs marges.  Si la tendance se confirme, ce sera un problème pour nos filières légumes et nous craignons de ne pas optimiser le bon fonctionnement de nos usines. » Reste que les cultures spéciales demandent beaucoup d’investissements. « Ce qui rend souvent difficile de tout bouleverser du jour au lendemain », estime-t-on du côté de la CAMN.

Les biosolutions, à valoriser par l’aval

Dans ce contexte, quid des biosolutions ? La CAMN, une des coopératives les plus impliquées dans les solutions alternatives, voit un palier. « Alors que nous avons toujours été en croissance, nos ventes de biosolutions se stabilisent ces trois dernières années, à 47 % de notre activité phytosanitaire en valeur, livre Claude Bizieux. Il y a eu un pic à 56 % en 2019, portée par le zéro résidu de pesticides, ZRP, que la grande distribution valorisait. Ce n’est plus le cas et le soufflé retombe. Cela pose le problème de la valorisation des produits de biocontrôle. » Quant à Saboc, la société poursuit le développement de ces produits porté par la Haute valeur environnementale. « Il y a une grosse accélération sur la HVE en vigne, indique Laurent Fonteneau. 90 % de nos 150 agriculteurs sont en HVE. » 50 % de la gamme vigne en valeur de Saboc est réalisée avec du biocontrôle.