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Les surprises et les questions que posent les conclusions de CarbonThink

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Le programme CarbonThink, dédié à l’agriculture bas carbone dans le Grand Est, a été clôturé le 12 décembre. Les questions à creuser restent nombreuses, avec en première ligne la formation des structures de conseil et la définition de ce qu’est une exploitation bas carbone, pour permettre l’élaboration de primes de filière.

Edouard Lankriet, directeur du développement chez Agrosolutions ; Olivier Josselin, responsable rela - © D.R.
Edouard Lankriet, directeur du développement chez Agrosolutions ; Olivier Josselin, responsable rela - © D.R.

Faire la démonstration du financement de la transition bas carbone de cent exploitations, en grandes cultures, dans le Grand Est. C’était l’objectif du programme CarbonThink, lancé en 2019 et clôturé lors d’un colloque organisé le 12 décembre, à Reims. L’occasion de présenter des résultats un peu plus étayés que ceux mis en avant en mars dernier. Les travaux les plus récents se fondent sur les bilans carbone de 88 exploitations, adhérentes des coopératives partenaires du projet (Cac, Cal, Cérésia, Cristal Union, EMC2, Scara, Tereos et Vivescia), réparties en quatre typologies : grandes cultures avec culture industrielles (44), grandes cultures à dominante céréales et oléo-protéagineux (30), exploitations alsaciennes à dominante maïs (7), polyculture-élevage (5).

Le déstockage surprend les coopératives

Au sein des coopératives, le caractère chronophage des diagnostics a marqué les esprits, tout comme les déstockages enregistrés. « On parle beaucoup de l’agriculture comme un puit de carbone, mais force est de constater que les exploitations émettent, explique Vincent Grégoire, responsable durabilité chez Tereos, qui a réalisé 20 diagnostics. Nous expliquons que cette méthode est une démarche de progrès, et qu’il n’est pas possible dans ce cadre d’atteindre le zéro. » Un point de vue partagé dans les rangs d’EMC2, où 40 diagnostics ont été réalisés. « Pour réduire le recours à l’azote minéral, nous utilisons du fumier produit sur place, précise Mathias Sexe, directeur agronomie et développement de la coopérative. L’amélioration de la biomasse des couverts est un autre de nos leviers principaux. » Le sujet du poids des émissions dans les bilans réalisés a également fait réagir. « Pourquoi est-ce à l’agriculture de supporter cette empreinte amont, essentiellement lié au processus de fabrication des engrais ? regrette Vincent Grégoire. On parle beaucoup d’agriculture régénérative, de conservation des sols mais cela n’adresse pas l’enjeu central des émissions. »

Un fort besoin en formation chez les structures de conseil

Si le carbone est devenu incontournable dans les stratégies des acteurs de la distribution agricole, le sujet n’en demeure pas moins technique. « Il est indéniablement complexe à aborder, souligne Olivier Josselin, responsable relations extérieures de la FDSEA Conseil 51. Il est question ici de pratiques dont nous pensons qu’elles ont un effet sur des quantités de gaz « estimées ». C’est un message compliqué à faire passer. » Si six à sept collaborateurs sont mobilisés sur ce sujet depuis deux ans chez EMC2, « tous les concepts ne sont pas encore bien appréhendés, reconnaît Mathias Sexe. L’enjeu est de faire en sorte que le bas carbone et l’économie des exploitations aillent dans le même sens, autrement dit réduire l’azote apporté sans nuire au rendement. » Le contexte géopolitique et économique actuel ajoute, par ailleurs, une couche de complexité à ce dossier. « Il y a trois ans, le blé était à 130 €/t et le crédit carbone autour de 35 €/t, rappelle Olivier Josselin. Aujourd’hui, le prix du blé frôle les 300 €/t, cela motive sûrement moins les agriculteurs à prendre le risque de changer de pratiques, d’autant plus que le prix du carbone n’évolue pas. »

Creuser d’autres pistes de financement

Les partenaires de CarbonThink l’ont effectivement déjà esquissé, le prix du carbone est encore trop bas pour être réellement incitatif. «  Le marché doit s’adapter pour mieux valoriser les filières bas carbone, nécessaires pour inciter les agriculteurs », plaide Vincent Grégoire. Des attentes dont sont conscientes les structures partenaires de CarbonThink. « Les sources de financement du bas carbone sont désormais bien identifiées, à nous de voir maintenant comment les coordonner, indique Claudine Foucherot, directrice du programme agriculture et forêt I4CE. Les travaux menés ont suscité des réflexions sur les primes de filière : cela nous semble être la suite à prendre, avec l’objectif de construire un référentiel sur la filière bas carbone. »

Construire une méthodologie pour mettre en place des primes de filière

C’est tout l’objet de travaux en cours, menés notamment par I4CE et Agrosolutions. « Le prix des crédits carbone ne permet pas de joindre les deux bouts, explique Édouard Lankriet, directeur du développement chez Agrosolutions. Les compléments de financements ont donc été explorés avec les partenaires agricoles, lesquels ont remonté l’idée d’une prime carbone. Reste à savoir quelle méthode suivre pour la définir. Les primes allouées pour le bas carbone intéressent de plus en plus les agro-industriels, mais il n’existe pas de définition de ce qu’est une ferme bas carbone. Cela concerne-t-il uniquement les émissions, ou le rapport entre le stockage et les émissions ? Nous pensons qu’il est plus intéressant que tout le monde soit aligné sur une définition commune. » L’objectif sera donc notamment de caractériser ce qu’est une ferme bas carbone. Une étude sur le sujet est actuellement en cours de validation.

Le programme reconduit ?

De quoi nourrir encore de nombreuses réflexions. Quid d’une V2 de CarbonThink ? Maximin Charpentier, le président de la Chambre d’agriculture du Grand Est, et de Terrasolis, a annoncé, en clôture du colloque, que des réflexions étaient en cours au Conseil régional pour relancer un deuxième programme. « Nous ne sommes encore qu’au début des réflexions autour du carbone, nous devons donner suite à ces travaux », assure-t-il.