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Les coopératives déçues des niveaux de crédits carbone potentiels

Le | Cooperatives-negoces

Le sujet carbone est désormais incontournable dans les stratégies des coopératives. Mais l’enthousiasme suscité par la méthodologie du label bas carbone en grandes cultures est quelque peu retombé. Les primes inscrites dans les contrats de filière seraient une voie de plus en plus envisagée pour accompagner les exploitations les plus performantes. Témoignages de Noriap, Cérésia et Vivescia, lors d’un événement organisé par Terrasolis, le 22 mars à Reims.

Pierre-Antoine Brunel, technicien agriculture de conservation des sols chez Noriap ; Frédéric Adam,  - © D.R.
Pierre-Antoine Brunel, technicien agriculture de conservation des sols chez Noriap ; Frédéric Adam, - © D.R.

Prudente sur le sujet, La coopération agricole expliquait, il y a quelques mois, attendre le retour de coopératives engagées dans le Label bas-carbone, en grandes cultures, pour affiner sa stratégie en la matière. Mobilisées dans le cadre du projet CarbonThink, dans le Grand Est, les coopératives Noriap, Cérésia et Vivescia ont présenté des premiers retours plutôt mitigés, lors d’un événement organisé à Reims, le 22 mars, par Terrasolis. « Beaucoup de choses ont été dites sur le sujet du carbone, comme quoi ce serait la poule aux œufs d’or, glisse Armand Gandon, chef de projet chez Vivescia. Mais pour l’heure, le coût du changement de pratiques et du diagnostic dépasse celui de la rémunération carbone. »

Un constat partagé en tous points dans les rangs de la coopérative Noriap. « Nous sommes un peu déçus, résume Pierre-Antoine Brunel, technicien agriculture de conservation des sols chez Noriap. En termes de crédits carbone, nous avons déchanté ». Une trentaine de diagnostics ont été réalisés, équitablement répartis entre des exploitations conventionnelles, bio et ACS. « Nous avons réalisé que ce n’était pas les exploitations qui étaient proches de la neutralité qui dégageaient le plus de crédits carbone. Cela nous a conduits à revoir notre stratégie, précise le technicien ACS. Pour être le plus juste, nous allons plutôt orienter vers le Label bas-carbone les exploitations qui disposent d’un levier carbone important. » Une stratégie vers laquelle semble également se tourner Vivescia. « Gardons le Label bas-carbone pour ceux qui débutent leur transition, et proposons d’autres dispositifs aux exploitations déjà engagées afin de maintenir leur performance », plaide Armand Gandon.

Des primes filières pour les exploitations les plus performantes

Quelles sont donc les autres solutions envisagées ? Les pistes à l’étude concernent notamment la construction de filières, dans le cadre desquelles des primes pourraient être accordées. C’est la voie dans laquelle s’est engagée Noriap, au côté de Nestlé. Coordinateur du projet CarbonThink, Etienne Lapierre se prononce ainsi en faveur d’un « [fléchage] des primes filières vers les fermes performantes, qui peuvent être cumulées avec des crédits carbone. » Pour d’autres, le carbone ne doit pas être une fin en soi. « Nous devons voir plus large que le carbone, et co-construire avec nos clients des démarches de valorisation sur plusieurs enjeux, comme la biodiversité ou la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires », indique Armand Gandon. « Tous ces sujets doivent en effet être inscrits dans les cahiers des charges, pour être menés de front », abonde Frédéric Adam, responsable solutions agricoles chez Cérésia, qui insiste par ailleurs sur la nécessaire précision de la définition de la notion de bas carbone, pour faciliter la construction de débouchés.

Un modèle de contractualisation à revoir

Ces pistes alternatives pourraient répondre aux attentes des industriels. « Ils ont deux attentes principales sur le carbone, explique Philippe Vincent, directeur filières chez Soufflet. Soit mettre en place une filière autour d’un produit spécifique, soit sourcer le bas carbone pour réduire leur empreinte. » La première option, déjà bien connue, pourrait avoir les faveurs des entreprises. « Le monde agricole tourne autour de la temporalité de la campagne, le Label bas-carbone, lui, engage sur cinq ans. Cela pose un problème de contractualisation et questionne l’évolution du prix du carbone. Nous devons travailler un modèle de contractualisation sur la durée », appelle Philippe Vincent. Ce dernier appelle également à engager des réflexions pour faire converger les différentes méthodes bas carbone : « sinon cela coûtera trop cher, et personne n’ira. »

Premiers résultats en demi-teinte pour CarbonThink

Démarré fin 2019 pour trois ans, le projet CarbonThink entame sa phase finale. Son but : accompagner les agriculteurs dans la transition bas carbone, dans le Grand Est. De premiers résultats ont été présentés, le 22 mars à Reims, suite à la réalisation de dix diagnostics : un demi crédit carbone par hectare et par an pourraient être obtenus par les exploitants. « C’est une grosse moyenne derrière laquelle se cachent beaucoup d’écarts », précise néanmoins Etienne Lapierre, coordinateur de CarbonThink. Le coût de l’augmentation du nombre d’intercultures, de l’usage d’engrais organique ou de légumineuses reviendrait à 50€/ha, alors que FranceCarbonAgri association propose aujourd’hui une rémunération à 30€/ha. « La rentabilité n’y est pas, admet Etienne Lapierre. Nous espérons pouvoir financer à la hausse les crédits carbone. Car il faut aussi compter le coût de l’accompagnement pendant cinq ans et les coûts administratifs liés à la labellisation, qui ne sont pas négligeables : 800€/ferme/an. »