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Sitevi, tensions sur les matières premières

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Distributeurs, fournisseurs et agriculteurs se sont retrouvés pendant trois jours, du 30 novembre au 2 décembre, à Montpellier, à l’occasion du Salon international des équipements et savoir-faire pour les productions vigne-vin, olive et fruits-légumes, Sitevi. Au cœur des préoccupations : le prix des matières premières, et notamment des engrais, chimiques et organiques.

Inquiétudes sur les disponibilités en intrants, et notamment en engrais. © EB/ Terre Ecos - © D.R.
Inquiétudes sur les disponibilités en intrants, et notamment en engrais. © EB/ Terre Ecos - © D.R.

Dans les allées du Sitevi, agriculteurs, distributeurs et fournisseurs s’alpaguent, heureux de se voir. Pour certains, il s’agit du premier salon en présentiel depuis deux ans, qui s’est déroulé du 30 novembre au 2 décembre 2021 à Montpellier. Sur le stand du négoce Vernazobre, 300 clients s’étaient retrouvés lors de la première journée. « Il y a un plaisir à se revoir dans une véritable convivialité, presque une fraternité », s’enthousiasme Matthieu Grebot, directeur communication & RSE pour Frayssinet. Les présents ont profité de ce qui sera peut-être le dernier événement en présentiel, avant une possible reprise des restrictions sanitaires. « Nous avons prévu un stand au Sival, du 11 au 13 janvier, mais nous sommes plutôt pessimistes » s’alarme Elise Noirault, cheffe projet marketing pour Ovinalp.

La principale préoccupation : la disponibilité des engrais

Au-delà de l’évolution du contexte sanitaire, la réelle préoccupation des exposants et visiteurs du Sitevi demeure l’approvisionnement en engrais. « Les distributeurs craignent de ne pas être livrés. Nous avons des retours sur des fabricants qui auraient annulé des contrats d’approvisionnement faute de matières premières », indique Pierre-Yves Tourlière, responsable développement produits France pour Timac Agro. Patrice Florentin, directeur général de CAPL, confirme : « Nous avons dépassé le problème du prix des engrais. Aujourd’hui, la véritable crainte, c’est la disponibilité. Pour les agriculteurs qui ne se sont pas couverts, il y a un vrai risque d’impasse en fin de culture. »

Utiliser des biostimulants pour remplacer l’azote

L’une des solutions avancées par certains fournisseurs : avoir recours aux biostimulants pour permettre à la plante de se maintenir à un optimum biologique. « Un engrais ne se remplace pas par un biostimulant, modère Patrice Florentin. Il s’agit d’un changement dans l’appréhension des cultures. C’est quelque chose qui s’anticipe. » Pour autant, certaines solutions pourraient être utilisées au printemps en cas de stress ou de carence et permettre à la plante de valoriser les faibles doses d’azote présentes dans le sol ou apportées par l’agriculteur. D’autres fabricants, comme Timac Agro, mettent l’accent sur le potassium et la phosphate, pour sécuriser un maximum la production. « L’activité biostimulant n’est pas directement impactée par la crise des engrais mais la situation pousse au développement et au déploiement de nouvelles solutions », estime Jean-François Ducret, directeur général de Valagro France.

Les contrats d’approvisionnement non respectés

Même pour ceux qui ont commandé dans les temps, les livraisons ne sont pas toujours garanties. Nicolas Tournaire, directeur commercial de Vernazobres, indique : « Nous recevons maintenant ce que nous avons commandé début 2021, pas au prix négocié, et pas dans les volumes prévus. Sur trois camions attendus, parfois il n’y en a qu’un. » En effet, les tensions sont telles que certains fournisseurs reviennent sur les tarifs négociés il y a des mois et refusent d’honorer les contrats sans une augmentation substantielle. « Dans la situation actuelle, les contrats sont obsolètes. C’est la jungle ! » confie, désabusé, un acteur de la distribution. « Nous avons des clients qui s’engagent dans des contrats sans prix, juste pour être certains d’avoir des disponibilités », renchérit un fournisseur. Benoit Le Blevennec, administrateur des ventes de Plantin, l’assume : il a dû augmenter ses tarifs malgré les négociations entreprises auparavant. « Nos propres fournisseurs en matières premières imposent des hausses supérieures à notre marge, explique-t-il. Nous n’avons pas le choix. »

Une augmentation générale des matières premières

« Ce que nous vivons aujourd’hui, de mémoire, dans la profession, personne ne l’a jamais vécu », déclare Jean-Paul Palancade, directeur d’Agrosud. Et la hausse du prix ne concerne pas seulement les engrais chimiques, mais toutes les matières premières. « Les prix des tourteaux végétaux, de la pulpe d’olive et du marc de café, avec lesquels nous compostons le fumier de mouton, ont été multipliés par trois ou quatre, indique Élise Noirault. Nous avons dû répercuter la hausse sur notre prix, entre 5 et 20 % selon les matières. » Dans certains cas, les matières premières entrent en concurrence avec d’autres usages, ce qui accentue la hausse des prix. Certaines matières issues de l’élevage peuvent être utilisées dans la fertilisation organique, la nutrition des animaux de compagnie ou la méthanisation. « Avec le prix du pétrole très élevé, tout ce qui peut être utilisé comme combustible est brûlé ! » déclare Olivier Demarle, responsable R&D pour Frayssinet. La tourbe et le bois, notamment, sont en tension du fait de leur utilisation à des fins énergétiques.

Année noire pour la viticulture

Et si pour certains céréaliers, les tarifs astronomiques des intrants peuvent être contrebalancés par les prix records des grains, ce n’est pas le cas des viticulteurs, qui représentent 200 des 300 coopératives d’Occitanie. « Entre le gel d’avril et la sécheresse qui a suivi, les viticulteurs ont perdu entre 30 et 40 % de leur récolte, soit 200 000 hectares. Du jamais vu. », indique Laurent Culzac, de la Coopération agricole Occitanie. « Les piquets en bois, les bouteilles en verre, le papier pour les étiquettes, l’inox, indispensable pour la vinification… tout a pris entre 20 et 30 %, s’alarme Delphine Antonin, de LCA Occitanie. Il va falloir répercuter les prix sur toute la filière, car les producteurs ne seront pas en mesure d’absorber ces coûts. » En effet, selon Christophe Gobet, « Les distributeurs ont dû sortir de l’argent par anticipation pour se fournir en intrants, alors que la livraison, et donc la revente, ne se fera que dans plusieurs mois ». Après une année difficile, notamment pour les cultures pérennes, et des conditions climatiques qui ont nécessité de nombreux traitements, les finances des OS peuvent être compliquées.

Aucune détente des prix n’est prévue pour le moment, et les participants au Sitevi ont bien du mal à se projeter. « Habituellement, nous prévoyons nos actions sur un an, mais actuellement, nous discutons du trimestre », confie Jean-Paul Palancade. Le moindre signe de détente pourrait inciter les acteurs à acheter en gros pour anticiper les baisses de production, reproduisant des instabilités.