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« Le renouvellement des cheptels apicoles pourrait être compromis », Sylvain Lafarge, président de l’Itsap

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Pour Référence agro, le président de l’Itsap-Institut de l’abeille, Sylvain Lafarge, analyse l’année 2021, annoncée catastrophique pour la production de miel, et plus globalement pour l’apiculture française. Il revient sur l’organisation de la filière, et l’action de l’Itsap, pour faire face. Entretien.

Sylvain Lafarge, président de l’Itsap. - © D.R.
Sylvain Lafarge, président de l’Itsap. - © D.R.

Référence agro : Quelle est la portée, pour l’apiculture française, de la baisse de production de miel annoncée pour 2021 ?

Sylvain Lafarge : La météo est l’une des causes principale, avec un coup de froid en avril qui a stoppé les floraisons. Du fait du manque de ressource, les apiculteurs ont eu recours au nourrissage ou aux transhumances des ruches. Mais la production devrait tomber sous les 15 000 tonnes, contre 30 000 l’an passé. La chute des volumes de certains miels, par exemple produit à partir d’acacia, pose d’ores et déjà des problèmes économiques. Le miel français essaye de se faire une place sur le marché, de fidéliser les acheteurs, ce qui n’est pas possible en étant disponible qu’une année sur deux.

L’autre menace concerne l’affaiblissement des colonies. Plus les populations sont faibles au moment de l’hivernage, moins le taux de survie est élevé au printemps suivant. Or, dans ce type de conditions, le renouvellement des cheptels est compromis, surtout pour les amateurs, pour qui prélever un essaim revient à réduire encore la production de miel. Les apiculteurs possédant plus de ruches ont plus de marge, mais n’échappent pas à la règle. Les pertes ne seront établies qu’en avril 2022, mais le risque est important.  A tous les niveaux, l’année 2021 risque de fortement marquer la filière.

R.A. : La création récente d’une interprofession peut-elle aider la filière à faire front ?

S.L. : Toute la filière est concernée. Les discussions sont déjà ouvertes entre producteurs et metteurs en marché pour limiter les dégâts de cette année de crise. Mais InterApi n’a que deux ans. Les premiers appels à cotisations volontaires étendues ont été lancé en fin d’année 2021, la collecte date du printemps, et l’utilisation de ces premiers fonds sera décidée à l’automne, pour une concrétisation probablement en 2022.

R.A. : Comment l’Itsap s’organise-t-il pour appréhender l’enjeu climatique ?

S.L. : L’Itsap travaille des pistes d’adaptation à plus long terme. Par exemple, la sélection génétique d’abeilles autonomes et plus résistantes, ou bien la recherche d’aliments de compléments de qualité. L’un des challenges à relever, dans nos projets appliqués, est de co-construire des paysages plus diversifiés avec les agriculteurs. C’est un beau défi, et il est important : le colza, le tournesol, la lavande et la luzerne représentent 50 % du tonnage de miel français. Nous abordons ce sujet à travers des projets locaux principalement. Nous tablons sur des synergies entre acteurs d’un même territoire.

R.A. : Après être passé proche du dépôt de bilan en 2019, l’Itsap est-il bien restructuré pour aborder ce défi ?

S.L. : Après les audits du ministère, nous avons du traverser une période difficile, où il a fallu vendre un rucher expérimental et se séparer du personnel qui y travaillait, ainsi que de notre chargé de mission sélection/élevage. La situation financière est assainie. Nous comptons désormais treize salariés. Nous pouvons faire face à des sollicitations qui restent nombreuses, de la part d’acteurs de l’apiculture, mais aussi d’agriculteurs, et de l’Anses, récemment sur le dossier des néonicotinoïdes.

R.A. : Quels sont les autres actualités de l’Itsap ?

S.L. : Nous nous apprêtons à déposer notre dossier de qualification d’institut technique auprès de la DGER pour pouvoir émerger au Casdar directement, sans passer par l’Acta. Nous engageons, dans ce cadre, un travail pour mieux intégrer les travaux des Associations de développement régional. Par ailleurs, nous venons de valider auprès de l’OCDE la première méthodologie de suivi hors laboratoire des effets non-intentionnels des produits phytosanitaires, via des puces placées sur les abeilles. Après dix ans de travail, c’est une ouverture importante pour la standardisation de ces suivis en apiculture, à l’international.