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Zéro pesticides en 2050 ? Le secteur agricole commente et questionne les scénarios d’Inrae

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L’agriculture pourrait se passer des produits phytosanitaires en 2050, selon un récent travail prospectif piloté par Inrae. Présents lors de la restitution, différents acteurs du secteur agricole réagissent aux modalités des scénarios proposés.

Crédit : Etienne Gaujour-Inrae - © D.R.
Crédit : Etienne Gaujour-Inrae - © D.R.

En 2050, fini les pesticides ! C’est possible, à en croire les trois scénarios prospectifs présentés par Inrae, le 21 mars à Paris. Le principe même de cette étude était de ne pas imaginer des évolutions progressives à partir de 2020, mais de partir d’un point final situé en 2050. Si les chercheurs ont bien construit, à rebours, des étapes aboutissant à chacun de leurs scénarios, les différents acteurs du secteur agricole présents lors de la restitution ont pu exprimer leurs questionnements sur des trajectoires qui restent difficiles à envisager aujourd’hui. 

Le secteur agricole ne peut porter le changement seul

Intervenant lors d’une table ronde organisée en marge de la restitution, Henri Bies-Péré, vice-président de la FNSEA, pose un regard plutôt positif sur l’étude d’Inrae, qui décrit une évolution simultanée des habitudes alimentaires, des politiques nationale et européenne, de la recherche, des acteurs des filières et des territoires. « Les agriculteurs ont plutôt le réflexe de la méfiance quand un chercheur leur dit quoi faire, sourit-il. Ici, je note que nous ne sommes pas les seuls à devoir changer. Le fait de s’inscrire dans une échéance longue est également un plus. Nous sommes plutôt habitués à des objectifs à porter seuls, au pas de course. »

Gestion du risque transitionnel

Présent dans l’assistance, Philippe Noyau, en charge du dossier phytosanitaire à Chambres d’agriculture France, abonde : « Considérer l’agriculture comme une interface entre la politique, les consommateurs, etc., c’est la bonne méthode. » Il attend toutefois de voir si cette approche sera retenue dans le cadre du futur  Ecophyto 2030, les versions précédentes ayant eu des vocations nettement plus techniques que sociétales. « Un accompagnement des agriculteurs reste nécessaire, insiste-t-il en outre. Si la demande en légumineuses augmente, comme suggéré par le scénario 3, mais qu’en produire nécessite des équipements que les agriculteurs n’ont pas, ça bloque. » Cécile Doinel rappelle que l’une des clés du succès de la filière Harmony, programme dont elle est responsable chez Mondelez, est « l’attention portée à ce que les agriculteurs ne soient pas les seuls à porter le risque transitionnel ».

Quid du secteur des phyto ?

Selon Marianne Sellam, responsable du pôle protection des cultures à l’Acta et cheffe de projet du Contrat de solutions, la gestion du risque passe aussi par des filets de sécurité. « Dans les méthodes combinatoires développées aujourd’hui, même quand on ambitionne de se passer des pesticides, ils constituent un dernier recours précieux  », rappelle-t-elle. Ce qui soulève une question : faut-il abandonner la recherche de nouvelles solutions phytosanitaires, et de techniques d’applications pour les optimiser ? Si l’objectif est de s’en passer mais qu’ils représentent une sécurité dans la transition, comment piloter un secteur phytosanitaire qui exige des compétences et des moyens ?

Concilier les enjeux

Le partage du risque est l’enjeu qui revient le plus dans les réactions des représentants du secteur, mais pas le seul pour autant. Faire évoluer l’ensemble de l’écosystème politique et technique des filières agricoles vers le zéro pesticide, c’est aussi potentiellement renoncer à d’autres enjeux. La filière Lu Harmony est articulée autour de deux priorités, climat et biodiversité. Si l’étude d’Inrae montre que ces deux enjeux bénéficieraient, in fine, d’une suppression des pesticides, la question de savoir si les objectifs d’Harmony, à court terme, sont compatibles avec cette trajectoire. Cécile Doinel fait ainsi remarquer : « Dans nos ambitions, la réduction des usages de pesticides est un levier, pas une finalité. »