Controverses sur l’évaluation des pesticides, l’Efsa fait le point devant les députés
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Transparence des évaluations, prise en compte des études publiques, indépendance des experts, effet cumulatifs, ressources financières… l’évaluation des substances actives par l’Efsa a été passée au crible à l’Assemblée nationale. L’audition, par la commission d’enquête sur l’échec des plans Écophyto, de deux responsables de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, le 20 septembre 2023, a permis aux députés d’obtenir des réponses sur de nombreux points controversés.
Le 20 septembre 2023, soit un jour après que Bruxelles ait dévoilé sa proposition de renouvellement de l’approbation du glyphosate aux États membres, ce qui a relancé les critiques sur l’évaluation des pesticides, la commission d’enquête sur l’échec des plans Écophyto auditionnait deux responsables de l’Efsa, l’Autorité européenne de sécurité des aliments : Guilhem de Sèze et Chloé de Lentdecker, respectivement chef du département « production des évaluations du risque », et coordinatrice scientifique de l’unité « Pesticides peer review » (Examen par les pairs des pesticides). L’occasion était donnée, pour les députés de la commission, d’aborder de nombreux sujets controversés :
→ Transparence des évaluations :
Guilhem de Sèze a rappelé la séparation très claire, dans la sécurité des aliments en Europe, entre l’évaluation du risque, gérée par l’Efsa, et la gestion du risque, assurée par les États membres. Il a insisté sur la « complète transparence » pour le public et les parties prenantes, dans tout le processus d’évaluation des substances actives : le public est appelé a commenté le dossier de l’industriel tout au début du processus, ce qui offre l’opportunité d’obtenir de nouvelles études, puis sur le rapport d’évaluation de l’État membre rapporteur. A la fin du processus, tous les rapports et documents sont publiés sur le site de l’Efsa. « Je crois qu’à un moment, il faut faire confiance aux institutions scientifiques, qui travaillent de façon complètement transparente », a-t-il avancé. Et d’assurer qu’il n’y a pas, au monde, de meilleure façon de gérer les pesticides. « La sophistication du cadre scientifique, réglementaire, en Europe, est inégalée. »
→ Prise en compte des études publiques :
Guilhem de Sèze a tenu à répondre à la controverse relative à la non-prise en compte d’études publiques lors de l’évaluation du glyphosate. « 2 400 études ont été analysées par une centaine d’experts, dont 700 produites par des instituts publics de recherche et des universités, a-t-il précisé. Les méthodologies qui sont imposées aux industriels sont très précises, très pointues, mises en place par des comités d’experts, souvent internationaux. Les laboratoires qui font ces études sont audités. Donc les études qui sont faites en dehors du cadre réglementaire, je crois qu’on peut comprendre pourquoi elles n’ont pas forcément le même poids que des études qui ont été spécialement conçues et réalisées pour répondre à des questions réglementaires. »
L’Efsa aurait-elle besoin de moyens publics pour mener une expertise parallèle, indépendante ? « Non », a répondu clairement le responsable. Une étude sur le glyphosate réalisée par un institut public ne permettrait pas d’arriver à avoir la vérité et à changer le consensus actuel…
Pour faire face aux éléments scientifiques manquants, comme dans le cas de l’évaluation du glyphosate, Guilhem de Sèze a insisté sur le besoin d’obtenir une décision politique consensuelle sur les objectifs de protection. Et de donner l’exemple du document d’orientation sur les abeilles qui a pu aboutir après qu’un objectif de protection ait enfin été fixé par les États membres.
→ Indépendance des experts :
Concernant la déontologie, l’indépendance des experts, Guilhem de Sèze s’est félicité du travail conduit par l’Efsa. « Nous avons trouvé le bon point d’équilibre dans notre politique d’indépendance car c’est un peu schizophrène : les instituts de recherche, pour avoir accès à des fonds, doivent démontrer qu’ils sont capables de travailler avec l’industrie, afin de montrer qu’ils cherchent à répondre à un besoin réel de la société et qu’il y aura des applications concrètes ; mais quand ils viennent à l’Efsa, on leur dit qu’il ne faut surtout pas travailler avec l’industrie », a-t-il expliqué.
Le responsable de l’Efsa a par ailleurs insisté sur le fait que l’évaluation des substances actives est « un mécanisme d’examen par les pairs, aucun État membre tout seul ne prend une décision ». Selon lui, l’expertise publique existe puisqu’elle est conduite par les agences nationales et l’Efsa. « Les industriels font les tests qui leur sont demandés, dans des laboratoires qui sont contrôlés, ils n’improvisent pas les tests qui leur plaisent », a-t-il rappelé. L’Efsa et les États membres sont ensuite là pour rectifier le tir s’il y a le moindre doute sur les résultats des tests.
→ Divergence d’évaluation :
Selon Guilhem de Sèze, les résultats sont ouverts, partagés avec la communauté pour pouvoir être critiqués et pour que « l’on puisse avancer collectivement dans le niveau de connaissances ». Les divergences entre instituts s’expliqueraient par la prise en compte de bases de données différentes lors des évaluations. Concernant le glyphosate, par exemple, « le CIRC ne se base que sur des données publiques, et ne prend pas en compte les données d’industriels », a-t-il expliqué, avant de préciser que la donne va changer puisque désormais, ces dossiers des industriels sont publiés. Autre explication avancée sur ces potentielles divergences d’évaluation : la différence de jugement, d’interprétation de signification biologique d’expert.
→ Disparité d’évaluation entre les États membres :
Questionné sur la concurrence déloyale qu’entraîne la gestion du risque par les États membres, Guilhem de Sèze a expliqué que la possibilité d’évaluer les produits finis était laissée aux États membres, par zone d’évaluation, en raison des différences de conditions de culture au sein de l’Union européenne. « Ce sont eux qui ont la connaissance précise de leur secteur agricole et de leur environnement », a-t-il souligné.
→ Evaluation a posteriori :
La phytopharmacovigilance mise en place en France, dispositif unique en Europe, intéresse l’Efsa. « La réglementation relatives aux pesticides ne prévoit pas d’évaluation des risques a posteriori », a précisé Guilhem de Sèze. Une surveillance des résidus de pesticides est réalisée chaque année par les États membres et synthétisée par l’Efsa, mais aucune surveillance a posteriori sur les effets sur l’environnement n’est mise en place, comme c’est le cas pour les OGM. « Nous avons en ce moment de gros projets de recherche pour améliorer notre cadre d’évaluation des risques environnementaux en prenant justement en compte les risques une fois que les pesticides sont sur le marché », a ajouté le responsable.
→ Effet cumulatifs :
L’évaluation groupée de pesticides fait partie des points controversés sur lesquels les députés attendaient des réponses. « L’Efsa a commencé à travailler il y a plus de dix ans sur la mise en place de méthodologies pour comprendre ces effets cumulatifs », a souligné Guilhem de Sèze. Le responsable a rappellé que l’Efsa a publié il y a deux ans les résultats de ses deux évaluations pilotes relatives aux risques pour l’homme liés aux résidus de pesticides multiples dans l’alimentation. Ces évaluations ont trait aux effets chroniques sur le système thyroïdien et aux effets aigus sur le système nerveux. « Mais c’est extrêmement complexe, il faut comprendre quelles molécules doivent être évaluées ensemble et prendre en compte l’effet probabiliste, puisqu’on n’est pas exposé de façon uniforme à toutes les molécules au même moment », a expliqué Guilhem de Sèze. D’importants travaux de modélisation sont menés et un programme est en cours pour évaluer les effets des pesticides sur d’autres organes et d’autres fonctions du corps. « La prochaine étape sera d’utiliser cette modélisation en amont, avant d’autoriser les substances », a précisé le responsable.
→ Ressources financières :
L’Efsa a-t-elle les moyens de développer aussi vite qu’elle le souhaite les domaines décelés à même de faire progresser l’évaluation des pesticides ? « La réponse est non, a affirmé Guilhem de Sèze. L’Efsa, c’est 600 personnes, 150 M€, qui travaillent dans dix domaines de compétences différents, dont celui des pesticides. Par comparaison, nos collègues de l’Agence des médicaments, c’est 900 personnes et un budget de 450 M€. »
Le responsable de l’Efsa n’a pu chiffrer les besoins sur le moment, mais a souligné que des ressources étaient également nécessaires dans les États membres, « complètement débordés par le niveau de dossiers qu’ils ont ». Et de conclure : « Je pense qu’il faudrait revoir tout le système, étudier ce que l’on pourrait centraliser, simplifier, et voir la ressource dont on a besoin dans les États membres et à l’Efsa pour faire fonctionner ce système. »