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Révision de la directive pesticides, échos de la première réunion de concertation en France

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Réunies par la DGAL le 2 septembre 2022, les différentes parties prenantes d’Écophyto ont eu l’occasion de s’exprimer sur le projet de règlement de la Commission européenne relatif à l’utilisation durable des pesticides. Référence agro a recueilli les réactions de plusieurs participants. Comme attendu, l’objectif contraignant de réduction de 50 % des utilisations, à horizon 2030, est loin de faire l’unanimité.

Agnès Pannier-Runacher lance, ce 15 mars 2024, un cycle de réunions pour comparer les réglementation - © D.R.
Agnès Pannier-Runacher lance, ce 15 mars 2024, un cycle de réunions pour comparer les réglementation - © D.R.

La DGAL prépare les négociations européennes sur le projet de règlement relatif à l’utilisation durable des pesticides, que la Commission européenne a dévoilé le 22 juin dernier et qu’elle a déjà présenté aux ministres de l’Agriculture des différents États membres et aux eurodéputés des commissions Environnement et Agriculture. En France, les parties prenantes concertées sur Écophyto ont été réunies le 2 septembre 2022 pour un premier tour de table.

Refus d’objectifs chiffrés contraignants

« Nous sommes volontaires pour réduire l’utilisation des pesticides et le Contrat de solutions que nous avons mis en place le prouve, précise Christian Durlin. Mais nous nous opposons à un objectif chiffré, sous forme de règlement. » Pour le vice-président de la commission environnement à la FNSEA, chargé du dossier de la protection des plantes, le projet de la Commission européenne va à l’encontre du souhait européen de souveraineté alimentaire. « Nous ne pouvons pas mettre en péril notre potentiel de production, ni risquer des pénalités si les objectifs ne sont pas atteints, ou encore subir des distorsions de concurrence si l’application du règlement diffère selon les États membres », reprend-il.

De son côté, Phyteis, l’union des industries de la protection des plantes, plaide pour un indicateur de performance agronomique et économique, afin de surveiller l’impact de la réduction d’utilisation des pesticides et de pouvoir réviser les objectifs si le potentiel de production diminue. « Cela permettrait d’encourager la transition agroécologique et de prendre en compte la situation parasitaire, qui évolue sans cesse », souligne Éléonore Leprettre, directrice communication et affaires publiques.

Zones sensibles, l’interdiction d’utilisation de pesticides préoccupe

La restriction, voire l’interdiction, d’utilisation de pesticides dans les zones sensibles constitue également un point de blocage. « La définition des zones sensibles est très large, reprend le responsable de la FNSEA. Ces zones incluent les enjeux eau, personnes vulnérables, biodiversité… Nous souhaitons une étude d’impact de la mesure pour la France afin de connaître le nombre d’hectares concernés ainsi que la baisse de production potentielle. Car l’expérience des ZNT montre que ces parties de SAU deviennent vite des zones de non-production. » Christian Durlin s’inquiète également des distorsions de concurrence que créerait la mesure pour les agriculteurs compris dans ces zones.

Pas d’interdiction sans solution

« Inutile d’ajouter de nouvelles contraintes à certaines filières, comme la production de semences par exemple, qui font déjà face à des impasses techniques en raison d’interdiction de molécules, précise Christian Durlin. Nous ne pouvons plus accepter d’interdiction lorsqu’il n’y a pas de solutions alternatives. »

Une position sur laquelle Phyteis s’accorde. « L’expérience montre que lorsque les interdictions s’accumulent, les demandes de dérogations de produits explosent, avance Éléonore Leprettre. Le projet de règlement doit être complété par des mesures d’accompagnement, ne pas se contenter de lister des restrictions. Nous devons nous assurer que pour rester compétitifs, nous disposons de tous les outils nécessaires à la transition agroécologique : les agriculteurs doivent pouvoir conjuguer agronomie digitale, bioprotection, biotechnologies et phytopharmacie. »

Les ONG pointent un défaut de représentativité

IBMA espère une mise en valeur du biocontrôle

IBMA France, qui se félicite d’avoir enfin une définition du biocontrôle inscrite dans un règlement européen, souhaiterait que ces solutions alternatives soient davantage mises en avant dans le texte. « Nous demandons à ce que soient inclus des objectifs d’augmentation de ventes de ces solutions au niveau européen, explique Flora Limache, responsable des affaires techniques et réglementaires. De même, nous aimerions que les produits de biocontrôle soient explicitement cités à chaque fois que sont évoquées les méthodes non chimiques, la protection intégrée, etc. » IBMA France veillera par ailleurs à ce que la définition du biocontrôle soit cohérente avec celle de la France. « Les minéraux et les substances d’origine animale ne sont pas mentionnés, précise la responsable. Enfin, il faut explicitement écrire que les macro-organismes sont utilisables. » L’association plaide par ailleurs pour que le règlement (CE) n° 1107/2009 relatif à la mise en marché des produits phytosanitaires soit retravaillé afin d’accélérer la disponibilité des produits de biocontrôle.

 Du côté des organisations écologistes, bien que cette réunion soit la première d’une série, certaines lignes rouges sont déjà tracées. François Veillerette, porte-parole de Générations futures, tique déjà sur le tour de table. « Trois ONG, quand toutes les branches de la profession agricole sont représentées, cela se ressent clairement dans les temps de parole, regrette-t-il. Dans cette séance, je n’ai pas entendu les mots environnement, biodiversité, agroécologie. » Les prochaines réunions pourraient proposer un autre équilibre. Contactés par Référence agro, les représentants de la Confédération paysanne et de la Fnab expliquent avoir été prévenus trop tard pour participer, mais répondent de leur mobilisation sur le sujet.

Ne pas reproduire les défauts de la directive

Sur le fond, Claudine Joly, en charge du dossier pesticides pour FNE, estime qu’il est « positif qu’un règlement voit le jour, la directive ayant montré ses limites quant à une application homogène au sein de l’UE ». Elle se veut pour autant prudente, car « il nous est expliqué que les États membres auront une marge de manœuvre ». Même circonspection chez François Veillerette : « Il est indispensable que la Commission contrôle et valide les déclinaisons nationales de la réglementation, sous peine de reproduire ce qui s’est passé pour la directive : une majorité d’États membres qui ne jouent pas le jeu. »

Indicateur(s) en question

FNE et Générations futures se rejoignent sur la nécessité de déterminer un ou des indicateurs faisant état à la fois des quantités utilisées et de la dangerosité des produits. « Il ne faut pas que les produits moins dangereux mais utilisés à plus forte dose, notamment ceux qui sont utilisés en bio, comptent plus que des produits plus toxiques, martèle François Veillerette. Il me semble avoir été entendu, sur cet aspect. » Claudine Joly en est un peu moins sûre, et se dit vigilante sur ce point, pour la suite : « Les indicateurs doivent être objectifs, et pas définis pour garantir une baisse artificielle des usages. »

Les ONG espèrent enfin que certaines définitions retenues dans le règlement soient affinées. Par exemple, celle de la protection intégrée, « floue et trop large », et qui devrait selon elles être resserrée sur le biocontrôle. La caractérisation des zones sensibles, jugée trop large par la profession agricole, « doit impérativement compter les habitations », souligne François Veillerette. Claudine Joly, enfin, estime regrettable que les discussions concernant cette réglementation « s’annoncent très longues », quand le texte vise une échéance désormais assez proche, en l’occurrence 2030.

La prochaine réunion de ces parties prenantes est programmée pour le 30 septembre.

Propos recueillis par Gaëlle Gaudin et Éloi Pailloux